Le dos appuyé contre mes baies vitrées, le regard perdu dans la contemplation de mon parquet, je me demande bien ce que je vais pouvoir manger ce soir. C’était une question existentielle ! Ma journée avait été consacrée à accorder mon piano & réparer ma guitare en lui posant des cordes neuves. Mon emploi du temps était vraiment digne d’un ministre. Comment ça j’exagère ? Non mais vous vous fichez de moi ?! C’est super fatigant de se lever pour bichonner mes instruments de musique. Estimez-vous heureux que j’ai eu la bonne idée de bouger mes fesses sinon je serais resté en petite tenue toute la journée & à regarder la télévision. Certes l’argent de papa me servait bien même si j’avais mes propres revenus en vendant de temps en temps des compositions pourries qui faisaient le bonheur des publicitaires mais c’était aussi parce que je n’avais pas envie de m’investir pour le moment dans une carrière professionnelle que je faisais rien. En plus, j’étais jeune & beau alors pourquoi abimer ma peau ou ma santé pour de l’argent que j’avais à profusion ? Un jour, quand j’aurais grandi dans ma tête, on en reparlera mais pas avant ! Toujours assis à même sol, la guitare sur les genoux, je me la jouais au beau musicien baba cool. Le menu de la pizzeria était étalé devant moi … J’attendais que l’inspiration me vienne. En attendant, je chantais des paroles débiles sur le pepperoni qui dansait avec dame Mozzarella pendant que Madame Tomate voyait rouge. Je n’avais strictement rien à faire ! En plus ma télévision tournait depuis que je m’étais levé c’est-à-dire aux aurores, vers 15h en gros. Ma vie était trop compliquée.

Il fallait avouer que je n’étais qu’un morveux pourri, gâté mais … alors qu’est-ce que vous voulez faire ? Je suis né avec une cuillère en or dans la bouche. Je ne vais pas cracher sur mes origines pour vous faire plaisir. Je devais admettre que mon existence était bien monotone. Pourquoi n’appelais-je pas ma copine ? Mi Yeon devait être occupée … Elle ne bossait pas mais elle avait toujours quelque chose à faire. Soupirant, j’attrapais mon portable & allumai l’écran juste pour pouvoir contempler son visage à défaut d’entendre le son de sa voix. Je m’étirais ensuite tel un petit chat. Comme un abruti, j’oubliais que j’étais assez grand & me pris la baie vitrée derrière moi. Allez une bosse pour moi ! Je ne pourrais même pas me vanter que ce soit celle des maths parce qu’elle était sur le front elle … Nul ! Les chiffres qui s’affichaient sur mon lecteur Blue-Ray m’indiquaient qu’il était largement temps de commander ma pizza sinon j’allais mourir de faim. Je n’avais même pas songé à rédiger un testament … Attrapant de nouveau mon téléphone tout en frottant l’arrière de ma tête, je réclamais une pizza royale avec un supplément de pepperoni.

En attendant que ma petite pizza se prépare … Eh ! Peut-être qu’elle venait du pays des pizzas … Là-bas, elle disait en revoir à son papa & sa maman en leur disant que tout irait bien. Ils se reverraient jamais mais qu’elle allait bien & qu’elle était heureuse. Ensuite, elle irait voir l’ours qui voudrait la manger mais elle réussirait à s’échapper puis ce serait le loup sauf que là aussi il lui pauserait un lapin. Le renard n’aurait pas plus de succès. Abandonnée sur le bord de la route, essoufflée par cette course, elle serait recueillie par un livreur au casque débile. Il aurait ce petit logo niais dessus … Non mais sérieusement qui aurait envie de porter un casque avec une pizza qui vous sourit l’air de dire « je suis bonne mais toi t’es bon pour grossir » dessus ? Je trouvais même qu’elle avait une expression flippante qui me rappelait The Grudge. Accoudé au comptoir de ma cuisine américaine, super équipée … je ne savais pas pourquoi j’en avais une digne des catalogues Smith (ah non ! la cuisine c’est nous … & Smith !) car je n’étais pas capable de faire bouillir de l’eau sans déclencher l’alarme à incendie de l’immeuble. Mon duplex était un logement superbe mais tout était trop beau. J’étais encore Young Soo, le fils à papa … Je n’évoluais pas beaucoup pour le moment. On verrait plus tard ! Pour le moment, il fallait que je m’habille bien pour accueillir ma pizza. Attendez ! Il fallait être présentable pour avaler une bouchée de cette délicieuse gourmandise.

Passant une chemise noire sur mon torse nu, je fus surpris par la sonnette. Quoi ? Mon rendez-vous était déjà là ?! Sautillant comme un abruti, les bras battant l’air, j’ouvris la porte. Le livreur ne portait pas son casque … Non mais quel nul ! Il venait de gâcher ma joie de me moquer de lui & son logo flippant. Affichant une expression contrariée, je lui dis :

« Bonsoir ! Vous avez fais vite ?! »

Je tendis les mains pour attraper la pizza que l’on venait me livrer. Oh ma chérie ! Viens voir papa estomac ! Lorsque mes doigts se refermèrent sur mon concentré de bonheur pur gras, je suis étonné par sa légèreté. Il avait avalé ma pizza en route ou quoi ?! Levant le couvercle intrigué, je … O_o non mais c’était quoi ce crime. Comment avait-il pu oser ?! Il allait me payer ce perfide !

« Vous avez dû vous tromper de commande. Ce n’est pas ma pizza. Descendez prendre le bon carton & revenez. Je vous donnerais quand même un pourboire. »

Young Soo ou comment devenir l’ennemi numéro 1 du livreur de pizza !!!! J’étais bon pour creuser ma tombe.

En ouvrant la porte, j’espérais voir mon livreur entouré d’une aura « pays de la pizza ». Quand il enlèverait son casque, sa belle chevelure brillerait & aurait de petites gouttes de parfum « pizza ». Son sourire émaille diamant me dirait : « je sais que tu vas apprécier ce que je t’apporte ». A cet instant précis, j’étais complètement amoureux de ce type qui me donnait à manger sans que j’aie besoin d’utiliser ma cuisine IKEA. J’avais envie de le prendre dans mes bras, le faire tourner tout en riant comme dans les films niais que les filles adorent. Il y aurait même cette ballade débile que j’aurais composée pendant que j’étais aux toilettes. Malheureusement, cette fois-ci rien ne se passa comme je l’avais prévue. Sur le seuil de ma porte se tenait le type le plus … comment dire ??? Le type le plus enjoué du monde ! On avait l’impression qu’il portait un écriteau « waouh ! je kiffe bosser dans cette pizzeria mais cela ne se voit pas » autour du cou. Je le trouvais flippant. Il avait des airs de zombie pas frais … pourtant je n’aime pas ça les zombies parce que j’en avais peur sauf que là j’étais certain que Les Pizzas d’Italie venaient d’embaucher un mort-vivant. C’était fou comment il avait l’air heureux d’être là. Rien que son aura déprimante me donnait des envies de suicide. Ma bonne humeur venait de retomber d’un coup. Bon bah pour le câlin & le rire idiot … on repassera. En plus, ce livreur ne portait même pas son casque. Il n’avait pas les cheveux brillants mais il sentait la pizza. Franchement j’étais déçu ! Il fallait que j’appelle le SAV lorsque le livreur serait parti parce qu’il devait faire quelque chose pour le rendre plus dynamique. J’avais envie de soupirer tout en refermant la porte au nez de ce type déprimant. Fort heureusement, il tenait entre ses mains ce que je désirais le plus au monde en cet instant : MA pizza.

Je le saluais brièvement & le complimentais sur sa rapidité. Lui ? Je ne sais même pas s’il me répondit parce que son expression ne semblait pas avoir bougé. Dommage qu’il n’est pas son casque, je suis certain qu’il aurait été plus aimable avec sa pizza souriante. En attrapant mon adorable pizza venue de loin, je fus surpris par son poids. En soulevant le couvercle, je fronçais le nez mais aussi les sourcils. L’odeur n’était pas la même … En ouvrant plus le carton, je fus mécontent de voir tous ces légumes pris dans le fromage … Non mais c’était quoi ça ?! Je n’avais pas commandé une pizza pour lapin mais pour mec avec du gras à chaque centimètre carré. Refermant le carton, je lui tendis en disant :

« Vous avez dû vous tromper de commande. Ce n’est pas ma pizza. Descendez prendre le bon carton & revenez. Je vous donnerais quand même un pourboire. »

Admettons … Admettons … qu’une chauve-souris enragée arrive à faire le code de l’ascenseur & qu’elle vienne sonner à ma porte avec la plus délicieuse des pizzas … Bah j’aurais quand même la trouille de l’énerver en lui disant qu’elle s’était plantée de commande. Certes ce n’était pas une chauve-souris enragée qui se tenait devant moi … quoique … mais un livreur sans casque … Oui je suis obsédée par le casque avec la Pizza flippante qui sourit. Je devrais penser à m’en offrir un ! Croisant les bras sur mon torse, j’attendis qu’il fasse demi-tour pour revenir avec MA pizza. Je voulais celle qui venait de dire au revoir à son papa & à sa maman au pays des pizzas. Je ne voulais pas de cette chose pour lapin !!! Quand le livreur m’annonça qu’il n’était pas responsable des préparations, j’ouvris de grands yeux ronds & lui dit :

« Que voulez-vous que cela me fasse ? Moi j’ai commandé une pizza pour mec & non ce truc pour anorexique. »

Il n’était même pas envisageable que j’avale la moindre bouffée de cette chose aux légumes. Moi vivant … je ne mangerais jamais une pizza végétarienne même pas par amour. Je suis un carnivore & puis j’ai envie de faire chier mon monde. Niark ! N’ayant pas l’intention de bouger le moindre muscle, j’attendis que livreur sans casque se décide à retourner chercher MA pizza. Comment je suis buté ? Non pas du tout ! Pendant qu’il étudiait la commande qu’il avait osé m’apporter, je me dis que ma délicieuse gourmandise devait croire que je l’avais abandonnée. Oh ! Elle avait peut-être été kidnappée sur le bord de la route par un autre livreur quand elle était sortie du pays des pizzas. Oh non ! Je ne voulais pas voir ça. J’avais envie de me cacher les yeux mais n’en fis rien devant le livreur flippant.

Mes oreilles avaient bien entendu ? Il pensait sincèrement que j’allais prendre cette pizza pour nana ?! Je n’avais pas besoin d’un régime ! J’avais tellement bien foutu que toutes les filles voulaient me toucher ou m’avoir dans leur lit. Il n’y avait que les mecs jaloux pour dire ça … Oh ! Je venais de comprendre ! Ce livreur avait dû être à l’école avec moi quand nous étions au jardin d’enfants. Il avait développé un complexe d’infériorité parce que j’étais plus beau et plus riche que lui. Le pauvre …

« Un régime ?! »

Je pouffais de rire … je me faisais penser à Domyoji dans Hana Yori Dango. Non mais sérieusement, il plaisantait n’est-ce pas ? Je n’allais vraiment pas devoir avaler ce truc végétarien ? Cette idée commençait à m’angoisser. Les paumes de mes mains devinrent moites de sueur. Des frissons parcoururent ma colonne vertébrale. Ma respiration se fit haletante … Si je ne finissais pas en pleurs, ce serait un miracle. Je ne voulais pas manger de la pizza avec des légumes mais de la pizza avec de la viande T_T

J’avais presque envie de me mettre à genou, de lui agripper les jambes & de le supplier d’aller me chercher MA pizza. Je ne voulais pas mourir de faim … Quand il me tendit la main pour me réclamer ses sous, j’eus l’impression de prendre une douche froide. J’étais tenté de lui fermer la porte au nez puis d’aller déprimer allongé dans mon lit. Je ne sais pas ce qui m’a retenu de faire une telle chose mais ma réaction n’était pas forcément plus intelligente :

« Non mais vous vous fichez de moi ?! Je ne vais pas payer pour ça ! Je veux ma pizza royale où j’appelle votre patron pour vous faire virer. Tu as compris, mon pote, ou je te le fais en décoder ? »

La violence engendre la violence … Je ne sais plus qui avait osé prononcer une telle vérité & c’était fort dommage car je l’aurais bien embrassé tout de suite. Sincèrement je n’étais pas un homme reconnu pour ses excès de violence mais évidemment en tant que garçon j’avais été parfois impliqué dans des bagarres. J’avais même été amoché … Cela n’avait pas été beau à voir … surtout quand je m’étais cassé deux doigts. J’en souffre encore quand il fait très froid. Je suis un vrai dur !!! Je ne savais pas comment j’allais sortir de cette histoire mais j’étais presque certain que cela finirait mal. Il restait sur ses positions … Je le comprenais parce qu’il bossait & ne devait pas avoir d’autres choix que porter cet uniforme pourri ainsi que ce casque que j’adorais tant. Il avait besoin de l’argent que lui rapportait cette activité mais moi il fallait aussi me comprendre. J’avais passé une dure journée en me levant à 15h. J’avais aussi réparé mes deux instruments de musique pour pouvoir commencer à écrire une composition pourrie pour une nouvelle publicité ridicule. J’avais toujours besoin que mes instruments soient impeccables pour ça ! Je n’avais rien avalé parce que la cuisine était un terrain miné pour moi. Je ne savais vraiment pas me servir du grille-pain & encore moins du micro-onde. C’était pour ça que je m’arrangeais toujours pour me faire inviter ou manger dehors. La belle pizza que j’avais commandé tout à l’heure était un peu comme l’eau qu’attendait désespérément les assoiffés du désert … J’en avais besoin pour ne pas mourir de faim … puis cela me permettait de mieux composer. J’avais besoin de glucide pour avoir de l’inspiration. Comment ça je suis étrange ??!!

Dans l’embrassure de la porte, je me posais sérieusement des questions sur la communication entre nous deux. Est-ce que ce type n’était pas un extra-terrestre venu nous envahir en livrant des pizzas végétariennes ? Est-ce qu’il n’était pas en réalité une fille déguisée en homme pour se venger de la gente masculine ? Peut-être que c’était une personne qui me détestait & voulait ma mort ? Il savait que je détestais les légumes & que certains me rendaient vraiment mal rien qu’en les regardant. C’était une méthode perfide pour arriver à ses fins … Je devais me méfier ! Il pourrait être un agent double ou un assassin venu pour me tuer à coup de pizza. Je devais me tenir prêt à sauver ma peau … Est-ce que je pouvais sauter du troisième étage sans mourir ? Je n’avais jamais testé … On sait jamais puis entre mourir des mains d’un livreur de pizza & tout seul pour sauver sa peau le choix était vite fait ! Je ne lui donnerais pas le moindre centime. Je ne voulais pas payer une pizza que je n’avais pas commandée ! Il me prenait pour un blond ou quoi ?! Il me tapait sur le système sérieusement ! Quand je lui répondis qu’il était hors de question que je débourse pour ça, je me dis que ma dernière heure était arrivée. Mes paroles n’allaient pas arranger les choses :

« Je suis rassuré alors que tu aies compris … comme tu es un débile mental, j’avais peur que tu ne saisisses pas le sens de mon message. »

Il attendait quoi pour aller chercher ma pizza ? Il voulait que je lui donne une tape dans le dos ? Il voulait que je sorte mes pompoms & que je lui fasse un petit mouvement pour l’encourager ? Non mais je n’étais pas une fille puis … je ne savais pas où je les avais mis. Ne pensez pas que ce sont les miens ! NON !!!! Ce sont ceux de ma petite sœur ! Elle ne les a donnés pour que je me rappelle que je dois venir à ses tournois sinon elle débarquera pour me tuer è_é Je vous jure qu’il est préférable de ne jamais l’énerver !

Sa remarque sur ma menace ne fit que m’énerver encore plus ?! J’avais envie de lui dégommer sa petite face de livreur. Je ne pus me retenir plus de deux secondes :

« Heureusement que tu n’es pas mon pote parce que je ne peux pas te voir en peinture ! Tu joues au gros dur mais sans cet argent tu ne peux rien faire. Tu vas rentrer à ta pizzeria & tu diras quoi ? Je n’ai pas l’argent parce que j’ai pris le client pour un con ? »

Je mourrais d’envie de lui sauter à la gorge pour le tuer mais non ! Il fallait rester digne pour ma pizza. Je tournais les talons & attrapais le téléphone fixe posé sur le meuble TV. Je composais le numéro de la pizzeria & me tournais vers le livreur :

« Tu veux voir si je suis sérieux ? »

Je ne pense pas que c’était ma meilleure idée de la journée … Je n’allais quand même pas le laisser gagner cette bataille. Je voulais MA pizza & rien de plus. Le client est roi !!! Avant de parler au directeur, j’allais vers le livreur & lui crachais dans la main … Aïe ! J’étais mort !

Eleanor Roosevelt a dit un jour : « vous gagnez en force, courage et confiance à chaque fois que prenez le temps de regarder la peur dans les yeux. Faites ce que vous pensez ne pas pouvoir faire. » Je ne sais pas bien pourquoi je songeais à une telle citation à cet instant précis. Peut-être qu’elle ne s’appliquait pas à moi mais plutôt à ce livreur qui se trouvait en face de moi. Tout venait de basculer en une fraction de seconde. Qu’est-ce qui m’était passé par la tête ? Je n’en savais strictement rien ! Il y a quelques minutes, je me préoccupais de savoir ce que j’allais avaler ce soir & voilà que j’étais à deux doigts de mourir. C’était la sensation que j’avais en regardant ce livreur. Je savais que j’étais en tort puisque c’était moi qui lui avais craché dessus & non l’inverse. Pourquoi avais-je agi comme un enfant de 5 ans ? Sincèrement je n’en avais pas la moindre idée. Cela m’avait semblé tellement intelligent de faire ça sur le moment … enfin surtout un geste provocateur parce que … je ne sais pas ! L’ambiance, la tension palpable entre nos deux m’avaient poussées à agir aussi bêtement. Maintenant, je le regrettais amèrement. J’avais une boule au ventre en me demandant ce qui allait m’arriver. Est-ce qu’il allait se jeter sur moi & me tabasser ? Est-ce qu’il me donnerait un coup de boule puis partirait ? Est-ce qu’il allait sortir de son dos une arme & me tuer ? Je ne sais pas pourquoi j’avais des pensées aussi morbides tout d’un coup … il fallait avouer que ce livreur ne me mettait pas à l’aise. Son air taciturne me rappelait la tête des gangsters dans les films. Comme ma belle-mère aurait dit : « il a une tête qui ne me revient pas ». Elle utilisait toujours des expressions un peu veillotte. J’aimais ça chez elle … En plus de nombreuses autres qualités.

Les choses allaient mal tourner désormais, je le pressentais. Je dirais même que je le vois gros comme une maison. Cette pensée traversait mon esprit lorsque mes yeux virent les mouvements du livreur. Il me plaqua sa paume sur ma bouche. J’avais l’impression qu’il recherchait à me réduire au silence. Paniqué par la tournure des évènements, j’eus du mal à garder une respiration normale. Elle s’emballa & me donna la sensation que j’allais mourir étouffer par sa main. Quand on y pensait, il était idiot de mourir pour une purée de pizza … Pendant que ses paroles résonnaient à mes oreilles, je tentais de le repousser en lui mettant ma main dans la figure alors que l’autre lui agrippait le poignet. Putain ! Il avait bien plus de force que je ne l’aurais cru ! En nous regardant, je suis certain que l’on ressemble à deux gosses qui se chamaillent. Vous savez quand ils veulent un jouet que possède un camarade … généralement, cela tourne à la dispute. L’un l’arrache des mains, l’autre lui donne un coup tout en pleurant. Après ils cherchent vraiment à se faire mal … On était comme des enfants. On ne se donnait pas des coups mais contrarié l’un envers l’autre on cherchait à se faire mal. Il voulait que je ravale ma salive, moi je voulais respirer. Il me badigeonna la joue avec sa main … J’avais l’impression qu’il voulait m’arracher la peau. Je sentais le sang afflué … Lorsqu’il recula enfin, je pus souffler mais je pressentais qu’il n’en avait pas fini avec moi. Pendant qu’il ramassait ses affaires & surtout la pizza, j’attrapais la porte pour la lui fermer sur le nez. Malheureusement j’avais sous-estimé sa rapidité. Il se retrouva sur moi sans que je puisse reculer pour lui échapper.

J’eus l’impression de me retrouver dans le film Matrix. Vous savez dans les scènes d’action quand tout se passe au ralenti. C’était un peu pareil ici ! Je vis la pizza sautée de sa petite boîte. Les parts volaient dans le ciel, en faisant attention de ne pas percuter un avion. Tombant en arrière, ma tête heurta le parquet. Je vis des étoiles pendant quelques secondes mais il était impossible de répliquer qu’il fondait déjà sur moi tel un rapace sur sa proie. J’aurais besoin de souffler, de hurler à l’aide, etc. Malheureusement j’étais incapable de faire l’une de ses trois choses. J’étais oppressé ! Au-dessus de moi, je voyais Dark Vador qui tentait de me faire avaler cette putain de pizza végétarienne. Plus jamais je ne commanderais une pizza de ma vie ! Déjà il fallait que je sorte vivant de cet affrontement, chose bien certaine.

Les assauts répétés de Shin Il allaient me filer des hématomes, des courbatures … peut-être que j’allais mourir. Sincèrement en cet instant, c’était ce que je croyais ! Je ne sais pas comment je réussi à trouver la force pour envoyer mon poing dans les côtes du livreur. J’espérais lui avoir fais assez de mal pour qu’il me laisse tranquille quelques secondes. Tout mon corps me faisait souffrir … Me protégeant la tête avec mes bras, je donnais des coups de pieds dans le vide en priant intérieurement que l’un d’eux atteigne ma cible. Ayant un bref répit, j’en profitais pour m’échapper en rampant sur le parquet. J’avais l’impression d’être un soldat faisant le parcours du combattant.

« Non mais tu es malade ! Tu devrais aller te faire soigner ! Putain pour une pizza, tu agresses les gens ainsi ?! Tu es un malade mental, toi ! »

Je tentais de me remettre debout mais mes jambes avaient dû mal à supporter mon poids. Je chancelais vers lui. Arrivé à sa hauteur, j’attrapais une part de pizza & la lui écrasa sur la figure en lui hurlant :

« Vas-y ! Bouffe-la cette putain de pizza de merde ! Tu n’es qu’un petit abruti de livreur de pizzas. Tu te sens inférieur aux autres mais ce n’est pas la peine de t’en prendre aux autres. »

Les rôles étaient-ils inversés ? Probablement pas ! En un claquement de doigt, le livreur pouvait toujours reprendre le dessus & me coller une fessée. Je ne savais pas vraiment ce que je faisais … J’agissais à l’aveugle !

« Tu vas enfin agir comme un homme où tu continues de faire le con ? »

« Qui sème le vent récolte la tempête … » Ce proverbe s’appliquait à la perfection à la situation actuelle … J’avais bien conscience que son sale caractère finirait par me jouer des tours mais je ne pensais pas en sortir aussi meurtri. Le vrai Young Soo était une personne insolente, hautaine & sûre d’elle … Je n’étais pas l’adorable crétin que tout le monde aimait fréquenter. J’étais en réalité un monstre … Je calculais & manipulais mon entourage pour atteindre mes objectifs sans aucun état d’âme. Une nouvelle fois, ma personnalité détestable avait causé des ravages. Certes quand j’exerçais mon chantage sur mes proches, ils finissaient par céder sans se rendre compte que je les manipulais. Je faisais tout en finesse … Ici, je ne sais pas pourquoi j’avais agi tel un connard. Il n’y avait pas d’autre mot pour qualifier mon attitude odieuse. Le destin avait choisi de me faire naître dans un univers qui méprisait tous les autres qui lui étaient inférieurs. Cela ne voulait pas dire que je devais bêtement suivre le reste des moutons. Je vivais dans un quartier aisé, dans un immeuble digne des films américains où pour monter dans l’ascenseur on devait avoir un code sinon on était bon pour se taper les escaliers. J’avais tellement d’argent que je n’étais pas obligé de bosser … d’ailleurs j’avais choisi de ne pas travailler parce que je n’en voyais pas l’utilité ! Je vendais de temps en temps des chansons pour des publicités. C’était assez bien payé pour que je puisse me passer d’un contrat. Ma réputation dans ce milieu m’était largement favorable … tout ça pour dire qu’il n’y avait aucune raison pour que je me comporte comme un connard avec ce livreur. Il n’y était pour rien s’il n’avait pas eu la chance de naître dans mon milieu & n’avait donc pas mon aisance financière. On pouvait dire que je méritais ce qui m’arrivait … mais se faire agresser par un téléphone … cela n’était pas prévu dans mon planning. Je pensais passer une soirée tranquille en mangeant ma pizza. Rien dans mon horoscope ne m’avait prévenu que je me ferais martyriser par le livreur de pizza.

Tout mon corps était meurtri par ses assauts, je voulais qu’il finisse par m’achever ainsi je cesserais de souffrir mais je ne pouvais pas mourir … Qui allait s’occuper de Mi Yeon ? J’encaissais les coups alors que je mourais d’envie de lui rendre au centuple la douleur que je ressentais. Quand j’eus une ouverture, j’en profitais pour me venger. Je lui hurlais dessus pour lui dire qu’il n’était pas net dans sa tête … Mes paroles ne furent pas franchement très éloquentes car elles pouvaient aussi bien s’appliquer à moi. D’ailleurs la réponse du livreur me donna l’impression d’être un vrai électrochoc. Comment ça il était aux commandes ? Il fumait quoi pour sortir de telles âneries ? Me battant pour échapper à son emprise, je lui dis d’une voix où la rage perçait :

« Tu commandes ? Non mais attends !!! Je rêve !!! Tu es aussi prétentieux que ça ?! Je te signale que c’est toi qui roue de coups un client qui a simplement une pizza … & c’est TOI qui te plante de commande. Il faut arrêter de prendre tes rêves pour des réalités. »

Je n’étais pas certain que mon discours soit le bienvenu vu les circonstances. Je risquais fortement de finir à l’hôpital ou à la morgue sans passer par la case « on a tenté de le sauver » & je ne toucherais pas mes 20000 wons. La vie était vraiment trop injuste !!! Les coups continuèrent de pleuvoir. Mon esprit était complètement embrouillé. J’avais la sensation d’avoir la tête dans un sac & que le peu d’air qui me restait serait le dernier que je respirerais. Ma pauvre pizza qui devait pleurer dans son pays de la pizza en croyant que je l’avais lâchement abandonné … Je ne pensais qu’à cette malheureuse quand mes oreilles captèrent sa menace : « j’ai ta vie entre mes mains. » Certes dans l’état actuel des choses, il n’avait pas tord mais je ne voulais pas que ce soit le cas. Ces mots … A ces mots, mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Il était hors de question qu’un livreur de pizza soit celui qui déciderait si je devais vivre ou mourir. Un médecin je comprendrais … un trafiquant aussi même si je me demanderais pourquoi il était là … mais un livreur NON ! Je sentis brusquement une poussée d’adrénaline parcourir mes veines. J’attrapais son poing levé & le défiait du regard. Je lui tordis le poignet comme je l’avais appris en cours d’auto-défense à mon lycée quand je vivais encore aux USA. J’en profitais pour me relever & le plaquer contre le mur. Je devais sérieusement être dopé pour réussir de tels exploits !!! Approchant mon visage près du sien, je lui déclarais :

« Maintenant tu vas arrêter de te la jouer gros dur ! Putain ! Je t’ai juste dis que ce n’était pas la bonne pizza, si tu comptes me tuer pour si peu je n’ose même pas penser quand on te demande du sel. Il faut que tu te calmes, mec ! Tu vas finir derrière les barreaux ! Fais gaffe parce que je pourrais être celui responsable de ton séjour en prison. »

Je le lâchais … Je ne sais pas si c’était une bonne idée mais je voulais mettre le plus de distance entre lui & moi. Bon sang ! Tout ça pour une histoire de commande ratée … Je me collais contre le bar de ma cuisine. Je priais intérieurement pour qu’il me foute la paix. Je lui dis quand même :

« Je n’aurais pas dû te cracher dessus … mais … non je ne sais pas ce qui met passé par la tête ! »

Rester couché … Il y a des jours comme ça où quand on ouvre les yeux, on se dit que l’on devrait rester au lit. On sent au plus profond de soi-même que l’on va passer une journée de merde. J’avais envie de fermer les yeux pour effacer tous les derniers évènements que je venais de vivre. Ce jour avait été épouvantable ! En me réveillant ce matin, la première chose qui me traversa l’esprit : « bon sang ! Je ne veux pas bosser. » Je n’exerçais pas réellement un emploi régulier qui me rapportait une somme d’argent mensuelle. Non je bossais de façon sporadique c’est-à-dire que les publicitaires faisaient appel à moi pour composer le prochain jingle. Je n’aimais pas vraiment cet emploi mais je devais penser à mon loyer et mes diverses dépenses. Un jingle me rapportait assez pour ne prendre aucun autre engagement avant deux mois. Là, j’en avais un à finir mais aucune motivation. Composer pour une publicité de biscotte ne m’inspirait pas grand-chose. Dès que mon regard se posait sur le dossier que l’on m’avait passé pour m’aider dans ma création … bah il ne me servait à rien. Je pensais seulement à cette publicité japonaise où une maman & sa fille chantaient tout en mettant la table. J’avais bien envie de pondre un truc dans le même style mais si après on parlait de plagiat … sérieusement cela me prendrait trop la tête. J’avais donc gratouillé sur ma guitare pendant plusieurs heures sans avaler. A un moment, mon estomac s’était rappelé l’ordre en criant « famine ». J’avais donc décidé de me commander une bonne pizza à la viande …. Ma préférée ! Malheureusement, il fallut que tout se passe de travers à cet instant … On avait donné la mauvaise commande au livreur. On s’était disputé puis j’avais eu la bonne idée de lui cracher dans la main par pure provocation car lui il n’y était pour rien. Evidemment mon geste très déplacé avait eu des conséquences désastreuses. Le livreur m’avait sauté dessus pour me rouer de coups. J’avais réussi à en placer quelques uns mais il était bien plus fort que moi. Je le sentais à chaque mouvement que je faisais. Mon corps n’était que douleur … Je sentais des articulations que je ne soupçonnais pas d’exister. C’était affreusement désagréable ! Je savais que j’avais mérité ce qui m’arrivait bien que d’un côté il n’était pas obligé de me frapper à coup de téléphone comme les serial killer des films américains. J’avais l’étrange impression de tourner un épisode des Experts. Je serais évidemment la victime morte pendant que l’équipe de Mac rechercherait activement ce qui m’était arrivé et finirait par trouver mon assassin c’est-à-dire le livreur. Avez-vous remarqué que ce n’est que dans les Experts que l’on trouve les morts les plus débiles qui soient ? Pourtant cela ne nous choque pas de voir untel mourir à coup de téléphone ! On trouverait presque cela normal. C’est sûrement parce qu’il s’agissait d’une série américaine. Il n’y avait pas d’autres explications !

Mes paroles ne furent pas mieux accueillies … malgré le faites que j’avais trouvé super intelligent de le menacer d’une plainte pour coup & blessures. Au vu de sa force & sa haine, ce livreur devait être déjà passé par la case « prison ». Est-ce qu’il avait touché les 2000 euros ? Je n’en savais rien mais tout d’un coup j’avais encore voulu faire le malin. Fort heureusement, il mit de la distance entre nous … cela me soulagea car il me stressait !

« Repasses ton tour ! Je suis déjà passé par la case prison. »

Cela ne me surprenait guère comme je l’avais soupçonné avant …. Son regard semblait dur & lui avait tellement de force que cela en devenait presque surhumain ! Son rire ne me rassurera pas du tout. J’avais l’impression de me retrouver en compagnie de Cruella d’Enfer ou vous savez les tueurs psychopathes des films. Plusieurs pensées me traversèrent l’esprit comme celle de sauter par la fenêtre pour échapper à ce fou. En même temps, j’allais tellement mal partout que cela me semblait même pas envisageable ! Je m’appuyais contre le bar qui servait de séparation entre ma cuisine & le reste de mon appartement – enfin duplex si on voulait être précis. Je me laissais tomber jusqu’au sol. J’ai mal partout ! Je ne pourrais probablement pas sortir avant plusieurs jours … Mi Yeon allait s’inquiéter !!! Je le regardais jeter négligemment le morceau de pizza qu’il avait décollé de ses vêtements.

« T’as surement une bonne… pour nettoyer ça… »

J’esquissais un sourire amusé mais surtout moqueur :

« Ouais … mais si tu veux, tu peux prendre ta place. »

Je ne cherchais pas la provocation, j’avais assez donné niveau coups. Je mettais adresser à lui d’un ton amical. C’était comme si deux copains se vannaient. Je n’avais pas l’intention de le forcer à faire le ménage … qui sait de quoi il aurait été capable à ce moment-là ?! Je tenais à vivre assez longtemps pour avoir des moments tendres avec ma copine quand même. Le livreur désigna de la tête mon piano … Ah mon pauvre bébé ! il était tâché de pizza morte sur ses pieds noirs. Sa réflexion me fit rire bien que ce soit très douloureux.

« Désolé de te décevoir mais je n’ai pas besoin d’un instrument pour draguer les filles … J’ai toujours ça en arme secrète. »

Je pointais du doigt ma guitare. J’espérais que ma remarque l’amuserait mais je n’en étais pas tout à fait certain. Reportant mon regard sur mon piano, je lui souris :

« Ouais j’en joue depuis que je suis enfant … J’aime le son que cet instrument libère … malheureusement ce n’est pas très pratique à promener. Je joue aussi de la guitare depuis des années. & toi, tu sais t’en servir de ce bébé ? »

Cela pouvait choquer certaines personnes mais j’appelais bien mon piano : mon bébé. Je chérissais énormément la musique & surtout mes instruments de prédilection. J’en prenais grand soin comme certains font attention à leur voiture. Je préférais ma guitare & mon piano. Je pouvais même passe des heures assis à les regarder.

« Tu veux que je t’apprenne ? »