Tout allait se jouer maintenant. Mon regard était concentré, et je sentais la tension présente autour de moi. Tous me regardaient pour connaître l’issue de la partie. Je ne devais surtout pas me trahir. Car il suffisait que l’un d’entre eux comprenne le truc pour que je sois morte. Et morte, c’est peu de le dire. Les jeux d’argents dans les rues c’est sacré. J’avais déjà vu un mec se faire tabasser parce qu’il avait triché. Et je peux vous dire que même papa maman n’ont pas du reconnaître leur fils tellement il était défiguré à la fin. Je suis presque certaine qu’il y réfléchira à deux fois maintenant avant de recommencer. Pour ma part… Je n’ai pas vraiment le choix. J’ai plus une tune sur moi, même pas de quoi me payer un bol de riz pour manger ce soir. J’étalais mes cartes sur le carton de jeu :

" Brelan d’As ! "

Trois visages se défacialisèrent sous mes yeux, et sans attendre une seule seconde je récupérais l’argent poser en mise sur la table avant de m’en aller rapidement, mais satisfaite. Ces idiots n’avaient pas remarqué que les cartes que je venais de poser sur la table n’appartenaient pas au même jeu que celui avec lequel nous jouions. Le temps qu’ils comprennent la supercherie ils auront sûrement déjà oublié mon visage. Une fois que je fus à bonne distance de mes anciens camarades de jeu, je comptais la somme que je venais tout juste d’acquérir. 18 168,70 Wons. Avec ça je devrais pouvoir me nourrir pour quelques jours si je fais bien attention à comment je le dépense. Ce qui était beaucoup moins sûr.

Ne pouvant m’empêcher de sourire, je sortie mon paquet de cigarette de ma poche avant de l’ouvrir. Il était presque vide. Je l’avais entamé hier soir seulement, et il ne restait déjà plus de quoi faire deux cigarettes à tout casser. A croire qu’elles disparaissaient comme par enchantement. Cela ne m’empêcha pas de me rouler une cigarette bien fournit avant de sortir mon briquet. J’appuyais sur le bouton mais il ne s’alluma pas, crachant seulement quelques étincelles. J'essayais encore deux-trois fois avant de me résoudre : mon briquet était mort. Une insulte en anglais sortie de ma bouche avant que je fasse demi-tour pour me diriger vers un magasin où je pourrais en acheter un autre.

J'en sortie rapidement en possession d’un nouveau briquet ainsi que d’un nouveau paquet de cigarette. Je mis la précieuse cigarette dans ma bouche avant de l’allumer et de savourer la première bouffée. J’inspirais profondément en fermant les yeux. Quand je les rouvris je m’aperçue que le soleil commençait à décliner et que le ciel avait une couleur de vomi de chat. D’un chat qu’on aurait gavé de croquettes au saumon pendant un bon bout de temps. Les nuages qui filaient dans le ciel offraient d’ailleurs un aspect poissonneux, comme s’ils étaient martelés d’écailles par le vent de haute altitude. A mesure que la lumière baissait, des taches bleu foncé s’y étendaient tel un océan à l’envers, profond et froid.

Je m’assis sur un banc en regardant ce spectacle tirant de temps en temps sur ma cigarette. Une autre journée venait de passer sans même que je m’en rends compte. Une journée que j’avais gaspillée de mon plein gré. Je n’étais pas particulièrement heureuse de remplir mes journées de ce vide, mais j’avais cette certitude en moi qui me disait que je n’avais rien de mieux à faire. Personne ne m’attendait. Et je n’attendais personne. J’étais libre de faire ce que je voulais de mon temps. Rien ne me retenait nulle part. Quelle dure fatalité diriez-vous ? Pas moi.

Je venais tout juste de finir ma cigarette quand je le vis marcher sur le trottoir d’en face. Mon cœur fit Boum en le reconnaissant. Mon Dieu ! Il était toujours aussi beau même après tout ce temps. Enfin… Cela devait faire un mois, un mois et demi que je ne l’avais pas vu mais tout de même ! Mes yeux le suivirent un instant avant que mon corps fasse de même. Je gardais une distance de vingt mètre entre nous, ne souhaitant pas qu'il me voit pour l'instant. Je trouvais ce jeu amusant. J’avais l’impression d’être Sherlock Homes qui suit les traces d’un bandit, alors que si l’on réfléchit bien… Ce serait plutôt l’inverse. Je le suivis comme ça quelque temps avant de me rendre compte qu’il se dirigeait bizarrement vers le lieu de notre première rencontre. Un coin paumé pas vraiment fait pour les gens fréquentable comme lui. Mais qui sait, peut-être cachait-il bien son jeu.

Voyant qu’il arrivait bientôt sur place, je me regardais rapidement dans une vitrine pour voir si j’étais présentable, réajustant inutilement mes cheveux avant de reprendre une marche rapide pour le rattraper, toujours le plus discrètement possible. A croire qu’il avait une influence néfaste sur moi, au point de me rendre superficielle. Quand je fus arrivée à sa hauteur, je ne sus comment l’abordée. Les deux premières fois c’était lui qui m’avait trouvé, mais là je ne savais pas vraiment comment faire. Je décidais tout simplement de lui donner un coup de point sur l’épaule, ni trop doux ni trop fort et de lui sortir une phrase à deux balles :

" Hey ! Salut ça va ? "

Sitôt que je lui eus donné un petit coup de poing sur l’épaule, Bo Yung se retourna avec un magnifique sourire qui m’éblouie, m’obligeant à faire un pas en arrière. Il n’y a pas à dire, si de loin il me paraissait beau, de près il était juste magnifique, divin. Je battis des cils pour reprendre mes esprits, et ravoir les pieds sur terre. Car il vrai que si notre relation amicale avait été vraiment sympathique, et que je m’étais vraiment bien amusée avec lui la dernière fois que je l’avais vu, cela faisait un long moment que nous nous n’étions pas vu, et donc surement que je n’avais pas marqué notre ami autant qu’il m’avait marqué moi. Il était sûrement passé par là part hasard, même si j’avais envie d’espérer le contraire.

Je lui rendis son sourire de manière plus réservé, rentrant mes mains nerveusement dans ma veste, de la même manière que si il avait fait froid, alors que l’air était encore doux. Le rencontrer de nouveau ici, dans ce même quartier m’apparaissait presque comme une finalité : nous étions faits pour nous rencontrer dans ce lieu, encore et toujours. De même, lui ne paraissait pas plus surprit que cela de me voir ici, et malgré ma nervosité première je me sentis rapidement à l’aise en sa compagnie. Il me répondit qu’il allait bien. En même temps vu le sourire qu’il me faisait, il semblait en effet aller plutôt bien. Pour ma part je haussais les épaules et lui répondit avec un sourire cette fois-ci presque aussi franc que lui :

" Oh bah oui ! Comme tu peux le voir je ne me porte pas trop mal. "

Et pas trop mal c’était bien le mot. J’avais gagnée assez d’argent pour me nourrir quelques jours - bien que ce soit se nourrir sur le pouce, et maintenant je croisais sa route. Que demande le peuple ? A croire que c’était mon jour de chance. A noter quelque part ou nulle part : même les gens des rues on leur jour de chance, cela peut arriver à n’importe qui. Je souris intérieurement à mon petit raisonnement, qui me faisait office de monologue spirituel.

J’ouvris la bouche pour lui demander ce qu’il faisait ici, dans les rues perdues d’Ulsan quand il me coupa la parole pour me demander si j’étais libre ce soir pour qu’on aille diner ensemble. Je fus d’abord surprise avant de ressentir une grande joie que j’essayai de contrôler. Il était venu exprès dans ce quartier pour me proposer qu’on dine ensemble. Cela voulait dire qu’il avait pensé à moi, et donc qu’il ne m’avait pas oublié. Pourtant cela faisait déjà un moment qu’on ne s’était pas vu, et moi-même avant de le revoir à l’instant dans la rue je n’avais plus pensé à lui depuis un sacré bout de temps. Je n’ai pas vraiment le temps de m’occuper de ce genre de chose. Et puis je n’avais pas vraiment envie de ressembler à ces filles qui fantasment sur mecs au point de rêver d’eux. Non merci, très peu pour moi. Je lui souris malicieusement et lui répondit sur un ton blagueur :

" Je t’ai tant manqué que ça ? Je rigole. Bien sûr que je suis libre. Mais… Par contre je n’ai pas vraiment de quoi me payer un restaurant de luxe, donc si on pouvait éviter d’aller dans un endroit trop… Cher… Ce serait sympa. "

Vraiment sympa. Car je ne pense pas vraiment aller très loin avec 18 000 Wons et des brouettes. Si j’étais libre comme l’air de faire ce que je voulais de mon temps, mon porte monnaie lui était assez restreint dans ces mouvements. Ne pas avoir de boulot n’avait pas que des avantages, mais cela m’allait. Même si je ne vivais pas dans le luxe, ma vie actuelle me convenait. Ou disons que c’était un choix que j’assumais et au final on finissait par s’habituer à dormir par terre. Et régulièrement j’arrivais à squatter chez des gens, même si je ne les connaissais ni d’Eve ni d’Adam. Je connaissais maintenant par cœur les techniques pour s’incruster dans les fêtes où je passais mes nuits et certaine fois même j’arrivais à passer ma nuit dans un lit après avoir bien avoir fait boire un certain nombre de verres à mon camarade d’un soir. Mais attention ! N’allez pas croire que je suis le genre de fille à faire les trottoirs, j’ai encore ma dignité. Et je compte bien la garder encore longtemps.

"Bon... On va part où ?"

Monsieur avait décidé de m’inviter. Et je n’allais pas refuser. A quoi bon ? Je sentais déjà mon ventre se tordre à l’idée d’un bon repas. Je ne mangeais pas correctement tous les jours et il arrivait même souvent que je ne mange pas du tout. Ce n’était qu’une question de hasard, mais surtout d’argent. De hasard si comme aujourd’hui, quelqu’un acceptait de me payer gracieusement le repas, et d’argent, car ça ne court pas les rues ou du moins mes poches. J’avais vraiment dû me lever du pied droit pour que tout ça m’arrive en une seule journée. Un petit sourire s’étira sur mes lèvres quand Bo Yung me dit que je pouvais choisir le restaurant qui me plaisait. A vrai dire j’avais envie de quelque chose de gras. Bien gras. Pas la nourriture en toute petite quantité qu’on peut trouver dans les restaurants que Bo Yung fréquentait surement.

Sans lui dire exactement où nous allions je pris les devants et l’emmenais dans le méandre des rues d’Ulsan. L’endroit où je l’emmenais n’étais pas très loin et nous pouvions largement y aller à pieds. Il devait y avoir entre cinq et dix minutes au grand maximum. Rien de bien méchant. Je sortis mon paquet de cigarette de ma poche et m’en roulait une avant de l’allumer. Le silence c’était installé depuis un certain temps déjà entre nous, et pour une fois je dois bien avouer que cela ne me plaisait pas trop. De plus, il y avait des questions que je me posais par rapport à sa supposée envie de me voir. Je trouvais vraiment ça louche qu’un type comme lui s’intéresse à moi.