Trois mois, cela faisait seulement trois mois que j'étais à Ulsan. Trois mois... Cela aurait pu être perçu comme une longue durée pour un touriste, mais je n'étais pas là pour voir du pays. Ou plutôt : j'avais pour ambition de rester vivre ici. Je ne savais pas encore combien de temps, ni ce que je ferais, mais mes projets se construiraient sans doute avec le temps. Peut-être aurais-je le mal du pays dans deux mois, peut-être que dans un an, je serais de retour au Japon. Mais peu importe. Pour l'instant, ma vocation était toute autre : trouver mes marques ici m'apparaissait comme primordial, et c'est pour cela que je m'étais offert une petite journée de détente. Je pouvais profiter de ne pas avoir d'emploi fixe pour découvrir tous les aspects de la ville du pays du matin calme.

Ma destination du jour était toute trouvée : le zoo. Je n'étais pas une fana d'animaux, même si il m'était arrivé d'aller payer pour caresser des chats des neko cafés dans mon pays natal, mais je les aimais bien. Et prendre l'air pour photographier des bêbêtes exotiques me disait bien. Je n'avais malheureusement pas encore d'ami pour m'accompagner, hormis ma demi-soeur. Malheureusement, elle avait eu la mauvaise idée d'être occupée ce jour là. Alors tant pis, je partirais seule en excursion ! Et c'est ce que je fis, munie de mon appareil photo et d'une carte pour ne pas me perdre. Parce que bien que j'aie appris les signes coréens lorsque j'étais au Japon, je n'avais pas mangé une carte d'Ulsan, et niveau orientation, ce n'était pas encore tout à fait ça. Je me débrouillais pour retrouver les magasins que j'adorais, mais ça n'allait guère plus loin que ça... Enfin, je m'étais habituée à ma ville natale, j'allais bien m'habituer à celle-ci.

Je visitais donc tranquillement le zoo, ne me référant pas au temps qui passait. Les animaux étaient vraiment beaux et ne semblaient pas particulièrement malheureux bien qu'ils soient derrière des barreaux. Je fis des dizaines, puis des centaines de clichés et m'amusai à lire les panneaux d'information qui m'intéressait, en apprenant un peu plus sur de nombreuses espèces dont j'ignorais parfois même l'existence. Puis arriva l'enclos des tigres. Je m'arrêtai. Pour moi, c'était en quelque sorte le clou du spectacle, et j'étais comme une gamine derrière les vitres de sécurité. Heureusement, contrairement aux enfants, je me contentais de sourire grandement quand le tigre s'approchait de nous, jusqu'à ce que je remarque un problème...

J'arquais un sourcil : le tigre semblait avoir du mal à marcher. J'avais déjà eu la chance d'en voir et ils étaient beaucoup plus gracieux que cela. Lui se déplaçait avec difficulté, ramenant une jambe derrière l'autre péniblement. Je ne réfléchis pas longtemps, sachant éperdument ce que je devais faire à cet instant : je rangeais mon appareil photo et quittai mon point de vue, afin d'aller trouver un agent du zoo !

Je ne tardais pas à tomber sur une femme qui était manifestement employée, vu sa tenue. Je m'approchais d'elle d'un pas décidé, un sourire léger et inquiet aux lèvres. Une fois à sa hauteur, je prends la parole, en essayant de me faire comprendre malgré mon accent étranger et mon faible vocabulaire.

« Hm, bonjour... »

Je ne manque pas, ou plutôt plus de confiance, loin de là, mais s'exprimer dans une langue que l'on ne maîtrise pas alors qu'on s'adresse à quelqu'un qui doit la parler couramment, ça ne met pas très à l'aise. Je continue tout de même en essayant de ne pas me poser trop de questions.

« Je ne sais pas si vous l'avez déjà vu mais je crois qu'un tigre marche bizarrement ! »

Je lui souris, toujours aussi gênée.

Je ne savais pas si j'avais bien fait d'aller trouver l'employée du zoo, mais je me rassurais bien vite en me disant que je ne pourrais exprimer aucun regret. Après tout, la pauvre bête n'avait peut-être rien de grave mais cela n'empêchait pas qu'elle se mouvait difficilement. Et ça aurait été cruel de la regarder qui peinait sans bouger le petit doigt. C'est sans doute un peu niais de penser cela, mais je pense que je m'en serais voulu si je n'avais pas agi. Quelqu'un l'aurait sans doute fait à ma place et le résultat serait le même, mais cela n'aurait pas atténué beaucoup ma culpabilité.

Heureusement, il n'y avait pas lieu de penser à cela, ni de s'acharner sur son sort puisque j'avais vite trouvé une brune aux cheveux longs qui, d'après sa tenue, travaillait ici. En plus d'être employée, elle semblait assez disponible et agréable puisqu'elle me répondit et ne s'énerva pas, malgré mon accent qui était peut-être, pour elle, à hacher au couteau. Lorsqu'elle me demanda si j'étais sûre de ce que j'avançais, je bloquais quelques secondes, m'accordant un temps de réflexion. J'étais réfléchie et ne voulais pas m'avancer s'il n'y avait pas lieu de le faire.

« Certaine. » affirmais-je, déterminée.

Oui, j'en étais sûre. Pour être restée devant la cage quelques minutes, je savais que mes yeux ne m'avaient pas trompé l'espace d'une illusion. Elle n'attendit pas d'autres détails et courut en direction de l'enclos. Je la suivis, profitant des gens qui s'écartaient sur son passage pour m'avancer. Une fois devant l'enclos, elle s'empara de son talky-walky. Je ne compris pas tout ce qu'elle dit puisqu'elle parlait assez rapidement, trop pour que je puisse déterminer quels étaient les mots qu'elle avait prononcé. Je compris cependant le thème de la phrase et ne put qu'être légèrement rassurée. Légèrement parce que je savais bien que le tigre n'était pas encore tiré d'affaire ! Je m'approchais de l'enclos pendant qu'elle finissait de s'entretenir avec ses collègues et je lançais au tigre, doucement et avec un petit sourire aux lèvres :

« Et bien mon pépère, tu as de la chance d'avoir des gens aussi réactifs pour s'occuper de toi. »

Je continuai de le fixer, le regardant se déplacer péniblement avant de se coucher vers un autre tigre. Je ne détachai pas mon regard de son pelage, de ses rayures, de la rousseur de son poil... Les tigres étaient vraiment des animaux fascinants et majestueux ! Et lui le demeurait malgré sa blessure. Je restai là, ne clignant que rarement des yeux. Bientôt, je remarquai que l'employée s'était tue, et je me retournai pour voir si elle était encore là. Bingo, elle n'avait pas bougé. Souriant avec sympathie, je lui demandai, curieuse mais surtout inquiète :

« Vous pensez que c'est grave ? »

Bientôt, d'autres personnes vêtus de la même manière que mon interlocutrice arrivèrent. Je compris qu'il s'agissait de ses collègues. J'hochai la tête en guise de bonjour et les regardai intervenir. Ils endormirent le tigre et s'en occupèrent quelques instants. Quant à moi, je ne perdais aucune miette du spectacle (qui n'en était pas vraiment un). Une fois qu'ils eurent fini et qu'ils eurent échangé quelques mots avec la dame que j'avais interpellée plus tôt, les collègues partirent. Je reportai bien vite mon intention sur la bête encore endormie. Je restai comme ça quelques minutes, comme si j'espérais intimement qu'il se réveillerait devant moi... C'était bête, je le savais bien, et même si c'était le cas, il ne se serait pas remis à courir en quelques minutes. Mais étrangement, je ne pouvais détourner la tête, jusqu'à ce qu'une voix m'interrompe. Je tournais la tête, me concentrant pour saisir la totalité des paroles de la vétérinaire. Une fois qu'elle eut fini, je souris.

« Il n'y a vraiment pas de quoi. dis-je en inclinant la tête. J'espère qu'il se remettra vite. »

Je ne lâchais pas la demoiselle du regard et, bientôt, elle continua et eut le don de me surprendre ! M'inviter à boire un verre parce que j'avais fait ce que je devais faire ? Voilà une proposition qui était franchement sympathique !

« Oh ! lâchais-je, étonnée, avant de retrouver un franc sourire. Merci, c'est avec plaisir. »

Je ne savais pas trop quoi ajouter. Si ce n'était que c'était vraiment agréable de rencontrer une personne comme ça, et que ce serait une très bonne occasion pour peut-être découvrir un nouveau lieu de la ville... sans oublier le plus important : une nouvelle personne.

« Je vous attends là alors ? Je doute que le tigre ne se réveille maintenant, mais ça me permettra de voir s'il n'y a rien d'autre d'anormal dans les autres enclos. dis-je en riant légèrement, bien que je doute fortement que beaucoup d'animaux de ce zoo soient mal en point. Je repris mon sérieux et, lorsqu'elle dut s'éloigner, je lui adresser d'autres mots. A plus tard alors ! »

HS:

J’étais loin d’être hypersensible et ce n’était donc pas un problème pour moi que d’assister à la scène en tant que spectatrice. Je m’inquiétais pour l’animal mais, heureusement, la vétérinaire m’avait dit qu’elle pensait que ce n’était pas grave. Cela dit, elle avait pris le soin de me préciser qu’il fallait examiner la bête avant de tirer des conclusions –chose logique- et je préférais ne pas me réjouir trop vite. J’étais assez terre à terre de nature et, malgré qu’elle m’ait légèrement rassuré, je n’allais sûrement pas crier victoire avant d’être certaine de la bonne santé de l’animal. Je restai donc là, attentive au moindre signe qui pourrait me permettre d’en savoir plus sur l’état de l’animal, même si je n’en doutais pas : le mieux était encore d’attendre l’avis des professionnels. C’est donc pour avoir celui-ci que je patientais.

Bientôt, les vétérinaires sortirent et je laissai la vétérinaire venir à moi. Je n’allais sûrement pas me pointer vers elle, comme ça, et insister : je devais déjà être bien assez pénible comme ça. Peut-être qu’elle n’aimait pas que je reste à observer leur boulot, mais après tout, je n’allais pas aller voir les derniers animaux que je n’avais pas vu comme si de rien n’était. Même si je ne pouvais rien pour ce tigre, je n’allais pas partir sans savoir ce qui allait advenir. Je me voyais mal faire ça, ça ne m’aurait pas ressemblé. Et j’avais de la chance de tomber sur une employée qui semblait être suffisamment sympa pour ne pas m’envoyer paître ou ne pas me donner de nouvelles de l’animal.

Rassurée, j’acquiesçai lorsqu’elle me dit que ce n’était pas grave. Peu de temps après, elle me proposa de sortir avec elle après son travail. J’étais assez étonnée, car je ne la connaissais pas plus que ça, et que pour moi, peu de personnes auraient proposé ce genre de truc. Mais j’acceptai. Après tout, elle semblait bien sympathique et ça ne me ferait pas de mal de faire de nouvelles connaissances à Ulsan. Je lui indiquai que je l’attendrais ici, devant la cage du tigre, et elle s’en alla après m’avoir adressé un bref mouvement de tête auquel je répondis aussitôt. Je restai encore quelques minutes à observer la cage des félins et jetai un coup d’œil à ma montre : il me restait un peu de temps avant la fermeture du zoo qui, selon moi, annonçait la fin du service de l’employée. J’abandonnai donc cette cage et continuai ma promenade, mon appareil photo brandit pour voir les derniers animaux qui peuplaient le zoo. Je tombai bien vite sur une cage peuplée de chimpanzés qui eurent le don de capter mon attention et de m’arracher un sourire niais : la mère semblait apprendre à son petit à grimper aux branches, et la manière dont elle s’y prenait me fascinait. Elle le laissait s’agripper à elle et montait, le poids de son petit ajouté au sien. Puis elle le surveillait alors qu’il essayait de grimper seul après avoir compris l’astuce. C’était vraiment une scène adorable que je pris en vidéo pour en garder un souvenir. Je l’enverrais bientôt à mon petit frère resté au Japon !

Les minutes s’écoulèrent vite devant cette cage comme devant les autres et l’heure implicitement fixée ne tarda pas à arriver. Je rebroussais donc chemin pour être plus rapidement devant la cage des félins. Lorsque je fus devant, je regardai à nouveau ma montre : j’avais 10 minutes d’avance. Je cherchai le tigre du regard et fus satisfaite en voyant qu’il se tenait debout, bien qu’il ait visiblement du mal à marcher. Il fallait s’y attendre : il n’allait pas être en pleine forme aussi rapidement ! Une voix vint me tirer de mes pensées et je me retournai aussi sec : la vétérinaire était arrivée.

« Non, je suis allée voir les autres animaux, là-bas. » dis-je en désignant une allée bordée de multiples cages.

Bientôt, la brune, que je supposais coréenne, reporta son attention sur le tigre. Attentive, je l’écoutais avant de lui répondre.

« Merci d’avoir pris soin de lui. » dis-je en m’inclinant pour la remercier.

Non, je ne considérais pas l’animal comme mon fils –je n’étais pas assez folle pour- et oui je savais que les vétérinaires n’allaient pas le laisser mourir. Mais si elle avait été arrogante et méprisante, elle m’aurait sans doute laissé dire et aurait pensé que j’avais tort, que j’avais la mauvaise idée de remettre en doute le travail des autres et autre. Enfin bref, ce n’était pas le cas, il n’y avait pas lieu de penser à tout ça. Puis la conversation dériva.

« Non, je suis venue à pieds. » dis-je en souriant un peu.

Je la suivis donc, pensant que, vu sa question, nous emprunterions sa voiture. Je ne savais pas trop où nous irions, puisque je ne connaissais pas encore très bien la ville –raison pour laquelle j’avais voulu en changer en venant ici aujourd’hui. Peut-être un café ? Un bar ? Je verrais bien et, en attendant, je lui emboîtai le pas.

HS:

HS²:

La vétérinaire me semblait être une fille particulièrement sympa. J'ignorais absolument tout d'elle, que ce soit son nom, son âge, l'endroit où elle vivait mais aussi ses passions, pourtant, il y avait des choses qui ne trompaient pas. A moins qu'elle cache bien son jeu ou soit très professionnelle, elle semblait bien appliquée dans son travail et très ouverte aux visiteurs. Je me trompais peut-être, mais j'avais comme un sixième sens pour ça. Bien sûr, il m'arrivait de me tromper, je n'étais pas une déesse. Mais voilà, une peste manipulatrice ou une fille pourrie-gâtée qui pense que tout lui est du, ça se remarque à des kilomètres à la ronde. Et je ne suis pas vraiment sûre que ce genre de personne invite régulièrement les touristes à boire un verre parce qu'ils ont fait ce qui leur semblait bon de faire. J'acquiesce quand je crois comprendre qu'elle me propose d'y aller avec sa voiture et la suis jusqu'à ce que j'imagine être une sortie pour les professionnels.

« Au revoir ! » me permis-je de lancer aux employés. Passer devant les gens en les snobant, ce n'était pas mon genre, et ce n'est pas une simple marque de politesse qui allait me tuer. Loin de là : je pouvais me montrer froide mais j'étais plutôt sociale comme fille, quand on savait s'y prendre.

Nous ne tardâmes pas à arriver au niveau du véhicule que nous allions emprunter. Je souris en voyant la voiture : je n'y connais pas grand chose mais je sais que ma demie-soeur trouve ce modèle sympathique. Mon petit frère lui avait fait découvrir. Je souris, nostalgique en repensant au Japon, bien que j'apprécie vraiment ma nouvelle vie ici et les moments que j'y passe, tel celui là. La brune se présenta et me tira de mes pensées furtives : Jae In, c'était comme ça qu'elle s'appelait. Je souris et, avant d'ouvrir la porte, je répondis :

« Moi c'est Emi. »

Je me permis d'ouvrir la porte, n'attendant pas qu'on m'assiste pour m'installer sur le siège. J'enlevai mon sac à main que je posai sur mes cuisses et j'accrochais bientôt ma ceinture. Je ne connaissais pas encore très bien Ulsan, ni ses lieux incontournables, et je fis donc confiance à Jae In, dont la voix ne tarda pas à s'élever à nouveau, couvrant le bruit de la radio qu'elle avait allumé plus tôt. Mes origines étrangères étaient démasquées et, avant même que j'aie eu le temps de lui répondre, elle trouva la source de mon sang.

« ça s'entend tant que ça ? demandai-je en riant, sachant pertinemment que j'étais loin de maîtriser la langue coréenne et son accent. Tout juste, je suis japonaise. »

La conversation dura encore un peu. Le temps, quant à lui, passa très vite. La voiture ne tarda pas à être garée et je réalisai qu'on était déjà arrivées au centre-ville. Je sortis de la voiture en même temps que Jae In, et elle m'annonça le programme pour les minutes à venir.

« Pas de souci. On a déjà eu de la chance de trouver une place ici j'imagine. »

Oui, j'imaginais, car comme je le pensais bien souvent, je n'avais pas eu la fonction carte d'Ulsan intégrée dans mon cerveau. Le chemin de marche se déroula aussi voire plus rapidement que le trajet en voiture et nous nous retrouvâmes très vite devant la porte d'un café.

« Un café, c'est parfait. » approuvai-je en souriant.

Il était vrai que j'aimais les cafés, et même si ça n'avait pas été le cas, je n'allais pas faire ma chiante en refusant. Elle était déjà bien sympa de m'inviter, je n'allais pas me comporter en gamine exigeante. J'entrai donc dans les lieux, un petit sourire aux lèvres -assez petit pour ne pas avoir l'air niais-, et bientôt, nous trouvions une table. Je déposais ma veste sur le dossier de la chaise et m'assis sur celle-ci. Un peu commère, je regardai le lieu où nous étions et, discrètement, j'examinai les gens qui nous entouraient. L'endroit avait l'air vraiment sympa et l'ambiance bonne enfant. C'eut le don de m'arracher un nouveau sourire. Puis je me retournai vers Jae In.

« Vous venez souvent ici ? » me permis-je de demander.

Un serveur s'approcha de notre table, nous demandant notre commande. J'attendis que Jae In commande avant d'annoncer mon choix, sans hésitation aucune.

« Un café mocha s'il vous plaît. »

HS:

Je n'étais pas du tout vexée par le fait que Jae In ait décelé dans mes paroles un accent étranger. Au contraire, je trouvais même ça plutôt amusant. Bien que je puisse tenir une conversation courante en coréen, j'étais loin d'être bilingue, que ce soit au niveau de mon accent que de la richesse de mon vocabulaire. Peut-être qu'avec le temps passé ici, je le deviendrais ? J'avais le temps de voir. Le trajet continue et, quelques instants plus tard, nous nous retrouvions attablées dans un café. Jae In me demanda si j'aurais préféré un autre endroit. Je répondis en toute franchise.

« Non pas du tout, ici c'est parfait. »

Le lieu était vraiment sympathique, tant au niveau esthétique que de l'ambiance qui y régnait. ça me convenait parfaitement, et de toute façon, je ne connaissais pas beaucoup d'endroits à Ulsan, et aucun qui semblait meilleur à première vue. Jae In ne tarda pas à me dire qu'elle affectionnait particulièrement cet endroit et je lui souris, gardant son avis dans un petit coin de ma tête. Je me forgerais le mien, mais il n'était pas dit que je ne remettrais jamais les pieds ici.

« Je vois. C'est franchement joli en tout cas. »

Puis mon attention dériva sur le serveur qui s'approchait de nous. Lorsque Jae In eut commandé son café noir, je demandai un mocha, mon café préféré, l'une de mes boissons fétiches. Bientôt, je sentis le regard de Jae In se poser sur moi. Quelques années plus tôt, étant mal dans ma peau, je l'aurais fui et cherché du regard le sol. Plus maintenant, au contraire, je la regardai dans les yeux et, au moment où j'ouvris la bouche pour parler, elle me devança et entama la conversation. Je mis quelques secondes à analyser chacun de ses mots et répondis.

« Super ! ça faisait vraiment longtemps que je n'étais pas allée dans un zoo... »

La dernière fois s'était déroulée sur le territoire nippon, depuis, je n'avais vu aucun animal en captivité, si on exclut les chats des neko cafés. Une seconde question suivit bientôt ma réponse.

« Oui, c'est la première fois. »

J'évitai de raconter ma vie, d'évoquer le fait qu'on m'avait fait des éloges du zoo, je doute que cela intéresse réellement Jae In. Le serveur vint faire irruption au beau milieu de la conversation pour poser nos tasses devant nous. Je le remerciai et entourai le récipient de mes mains : chaud ! Je le lâchai vite, pensant attendre que le liquide refroidisse. Puis je posai à mon tour une question.

« Vous y travaillez depuis longtemps ? »

HS:

Comme l'avait dit Jae In, cet endroit était vraiment charmant et passer du temps ici me confortait dans cette idée. Je n'y étais que depuis peu, mais ce petit coin me plaisait déjà, et il fallait qu'il dégage une certaine ambiance pour arriver à me faire sentir comme ça. C'était réellement sympa, et je le notai intérieurement sur la liste des lieux d'Ulsan à retenir et à fréquenter que je m'étais faite. Chez moi, j'avais la liste non exhaustive rédigée sur papier, histoire de ne rien oublier, et je la consultai dès que j'avais du temps devant moi pour sortir, et aucune idée de sortie en tête. Je décidai d'y inscrire le nom de ce café dès que je rentrerais chez moi. Après cela, je demandai à Jae In depuis combien de temps elle travaillait au zoo, et elle ne tarda pas à me répondre, non pas sans une hésitation qui m'arracha un franc sourire amical.

« La mémoire vous fait défaut si jeune ? »

Je pouvais me montrer facilement taquine, mais il n'y avait rien de méchant à déceler là dedans. En fait, à partir du moment où une personne m'inspire confiance, comme c'est le cas pour Jae In, je peux me laisser emporter assez facilement et, tout en restant correcte, lancer quelques pics pas méchants. Je sais que ça ne plaît pas à tout le monde pour en avoir fait l'expérience, j'espère simplement qu'elle n'est pas susceptible. Elle ne tarde pas à relancer la conversation, me posant une question, cette fois-ci. Plutôt rassurant.

« Non, seulement quelques mois. D'où mon accent et mon inculture concernant les lieux. » répondis-je simplement et avec une voix douce.

Quelques mois, et pourtant je me souvenais de mon emménagement ici comme si c'était hier. Les cartons, le déballage de ceux-ci après qu'ils eurent décoré le sol de l'appartement... je me souvenais de tout ça. Je posais mon menton dans ma main et appuyai mon coude sur la table, regardant avec attention mon interlocutrice lorsqu'elle poursuivit. Puis je repris ma position initiale, appuyant mon dos contre le dossier de la chaise avant de répondre.

« Et bien, oui. Je n'ai pas encore eu le temps de très bien me familiariser avec la ville et je ne connais encore que très peu d'endroits, mais malgré tout, j'aime déjà beaucoup ce que j'ai pu voir. Et les gens sont chaleureux ici. »

Je repensai rapidement à toutes les bonnes rencontres que j'avais pu faire, par exemple mes partenaires de danse et, plus récemment, Jae In. Les gens étaient très sympathiques ici et ça m'avait surprise. La Corée n'était peut-être pas mieux que dans mes rêves, puisqu'il fallait le dire, je l'idéalisais, mais c'était sans doute le temps de m'adapter, et je m'épanouissais beaucoup plus ici que dans ma ville d'origine. Peut-être qu'une fois la barrière de la langue tombée, tout irait mieux.

Je repris mon café et pus constater qu'il s'était refroidit. Tant pis. Je l'approchais de mes lèvres et en dégustais quelques gorgées chaudes mais pas brûlantes. Mon interlocutrice dit tout haut ce que je pensais tout bas, bien que les conditions n'étaient pas les mêmes. Je posai ma tasse en même temps qu'elle avant d'enchaîner.

« Je ne peux pas en dire autant mais je veux bien vous croire. »

N'ayant pas de travail, je ne connaissais pas ce genre de sentiments. Pourtant, aussi bizarre que ça puisse paraître, j'aurais aimé être à sa place. Chercher un travail sans trouver quelque chose de stable n'avait rien d'une situation facile et j'avais beau éplucher les petites annonces encore et encore, je ne trouvais rien de suffisant. Ou on était payé à coup de lance pierre, ou le lieu de travail était trop loin pour que je puisse financer un trajet quotidien. Sans trop réfléchir, je demandai alors.

« Dites-moi, je sais que c'est un peu inattendu de demander ça comme ça, mais vous ne connaîtriez pas quelqu'un qui recrute ? »

La question m'avait suffisamment titillée pour que je la lui pose, même si elle pouvait paraître déplacée.

Un sourire amical se dessina sur mon visage quand Jae In me proposa explicitement de me faire visiter Ulsan. Il était certain qu'il serait plus agréable de découvrir les meilleurs endroits de la ville par quelqu'un du coin que par un guide touristique qui, justement, était souvent trop touristique. Ce genre de livres s'adressait toujours aux vacanciers venus ici pour un mois tout au plus et, en tant que nouvelle habitante, je n'y trouvais pas souvent mon compte, bien qu'ils me servaient à occuper certaines journées. Je ne tardais donc pas à donner mon approbation à la jeune femme.

« C'est gentil de le proposer, je ne suis pas contre. »

Quelques minutes passèrent avant que j'ose lui demander si elle ne connaissait pas un recruteur potentiel. Je trouvais quelques petits boulots, mais c'était souvent l'histoire de quelques jours, maximum quelques semaines, et ça m'offrait une situation plutôt instable. Certes, il fallait y passer, et trouver un métier en CDI ne se ferait pas en un claquement de doigt, mais si quelqu'un était dans la situation inverse à la mienne -c'est à dire qu'il cherchait un employé, ça ne serait pas de refus. Je ne savais moi-même pas pourquoi j'avais posé cette question d'ordre professionnel dans une conversation de ce genre, surtout que rien ne vint en tête de Jae In. Pourtant, puisqu'elle me le demandait, je ciblai mes recherches pour elle.

« A vrai dire, je chercherais plutôt dans le commerce international, mais je prends tout ce qui me permet de payer le loyer. »

Elle me proposa ensuite d'échanger nos numéros de téléphone. Sans hésiter, je sortis le mien et l'échange se fit. Ensuite, l'objet retrouva sa place initiale. J'adressais un regard à la fois curieux et satisfait quand Jae In me proposa de se tutoyer. C'est ce que je crus comprendre malgré mon niveau de coréen imparfait, en constatant qu'elle se montrait déjà plus familière dans ses paroles. Je hochais la tête, approbative. Puis elle signala qu'elle devait partir, adoptant à nouveau une certaine politesse.

« Ne recommence pas déjà à me vouvoyer ! Je ris, amusée. Je dois rejoindre une amie tout près donc ça ne sera pas la peine. Merci d'avoir proposé ! »

En effet, en enregistrant son numéro dans mon portable, j'avais vu le message de ma demi-soeur qui me disait de la rejoindre à quelques minutes d'ici. J'espérai retrouver malgré mon sens de l'orientation hors du commun -ironie, mais au pire, elle n'était pas loin. Et puisqu'elle se repérait mieux que moi ici, on devrait finir par se retrouver avant demain. Je me levai de ma chaise et Jae In paya nos consommations. Je la remerciai. Un jour, je lui revaudrais ce petit geste, car j'espérais la revoir, maintenant que j'avais son numéro, nom et lieu de travail. Je lui emboîtais le pas et sortis derrière elle. En effet, il faisait froid ! Elle se dirigea vers sa voiture et je m'arrêtais quelques mètres avant et lui adressai mes derniers mots pour aujourd'hui.

« Je viendrai te faire un petit coucou si je passe devant le zoo un de ces quatre. Rentre bien ! » lui dis-je en lui faisant un signe de la main accompagné d'un grand sourire.

Emi semblait être ravie que Jae In puisse lui servir de guide. Après tout si elle souhaitait vivre à Ulsan, il fallait bien que quelqu’un lui présente la ville et puis la coréenne était bien placée. Elle-même était arrivé à Ulsan sans savoir où aller au début, quel endroit fréquenté. Non elle n’avait pas rencontré quelqu’un qui puisse l’aider, elle avait dû se débrouiller toute seule, mais étant coréenne elle n’avait pas eu non plus trop de problème. Ça lui faisait plaisir d’aider sa nouvelle amie. De plus, elle allait pouvoir sortir un peu en compagnie de quelqu’un chose plutôt rare depuis quelques temps. La conversation se poursuivit. La japonaise demanda à Jae In si elle ne connaissait pas quelqu’un qui recrutait, la réponse fût bien évidemment négative. Même si cela faisait plusieurs années maintenant qu’elle résidait à Ulsan, Jae In ne connaissait que très peu de monde. Mais, bon au cas où elle préféra lui demander ce qu’elle cherchait. La nipponne voulait travailler dans le commerce international, ce qui n’était pas rien d’ailleurs, elle avait dû faire pas mal d’étude et surtout devait savoir maîtriser les langues. Pour Jae In ce genre de secteur portant le mot international lui faisait penser à cela. « Si je trouve quelque chose, je te ferais signe. » Cependant pour qu’elle puisse la joindre, il fallait bien qu’elle ait son numéro, ça serait plus pratique pour elles afin de communiquer ensemble.

Bon maintenant, il n’y avait plus besoin d’être aussi polie l’une envers l’autre. Les deux jeunes femmes pouvaient se montrer un peu plus familières. Enfin ce fût plus simple à dire qu’à faire, sans s’en rendre vraiment compte Jae In venait de réemployé une forme de politesse, chose que Emi ne se gêna pas de lui faire remarquer. « Oups, pardon. » dit-elle alors que la japonaise se mise à rire, sûrement amusé, Jae In ne pût s’empêcher de rire avec elle. Il semblait que sa nouvelle amie avait autre chose à faire. « Si tu as besoin de moi, tu m’envoies un sms ou même tu peux m’appeler. Bon je ne serais pas forcément toujours libre à cause de mon boulot, mais j’ai quelques jours de libre dans la semaine. » Il faut dire n’étant pas la seule vétérinaire au zoo, elle pouvait se permettre parfois de prendre un ou deux jours de répit pour faire autre chose. Soigner les animaux elle aimait ça, néanmoins elle souhaiterait parfois faire un autre métier que celui-là. Un métier qui lui permet de rencontrer du monde et qui ne prend pas une grande place dans sa vie.

Elles sortirent du café, main dans les poches de son manteau afin de garder ses dernière bien au chaud, Jae In se retourna vers Emi. « Oui, n’hésite pas. Quand tu y passeras envoie-moi un sms, comme ça tu n’auras pas besoin de me chercher dans tous le zoo. C’est qu’il est quand même grand. » Elle souriait et fit un signe de la main pour la saluer. « Toi aussi, rentre bien. » Elle fit demi-tour prenant le chemin jusqu’à l’endroit où elle avait garé sa voiture. Elle était plutôt contente, elle s’était fait une nouvelle amie, une amie qui avait l’air très sympa à première vue. Elle continua de sourire, retrouvant sa voiture. Elle déverrouilla celle-ci à l’aide d’un bouton sur la clé et se glissa sur le siège du conducteur. Elle jeta son sac à l’arrière, s’attacha et mis le contact. « Bon je dois aller chercher Ash maintenant. » dit-elle avant de démarrer pour rejoindre la maison de son ami pour aller récupérer son chien.