Xue venait de se réveiller. Aujourd'hui, la boutique l'avait travaillé le matin et elle avait dû supplier sa gérante pour finir une heure plus tôt et s'assurer ainsi d'avoir un peu plus d'heures de sommeil. Elle devait rester en forme. Elle devait surtout ressembler à quelque chose sur scène ce soir. Le maquillage peut faire pleins de merveilles, mais en abuser peut créer un monstre. Si ce n'est pas ce qu'elles étaient déjà de toutes évidences. La petite chinoise se laissa emporter dans de nouveaux design colorés pour ses dernières clientes. C'est ce qui est bien lorsque se sont des habituées qui viennent trouver Xue, c'est qu'elle peut faire un miroir de leur esprit ou désirs avec les ongles de sa cliente.
Ouatté par-dessus la tête, l'esthéticienne se dépêchait d'entrer chez elle. Ce n'est pas tout le monde qui fréquente les salons d'esthétiques. Surtout celui où elle travaille. Les habituées ont beaucoup d'argents et sont très capricieuses. Sans le savoir, elle ramène souvent des invités, même des hommes parfois, qui font la discussion avec elle…ou plutôt les charmes, pendant que les esthéticiennes restent silencieuses et gobent le moindre information pour des potins ou de nouvelles idées. La chinoise était toujours en quête de nouvelles idées et ne prenait pas peur de toujours approuver la dame d'un grand sourire et taquiner les invités. Cela ne lui créait aucun problème lorsqu'elle travaillait. C'est lorsqu'elle rentrait chez elle qu'elle se faisait soit attaquer avec grande haine pour en avoir trop fait ou attaquer pour des faveurs. C'est pour cela qu'à grandes enjambées, la demoiselle se dépêchait d'entrer dans son monde à part d'apparence bien saine.
Elle pourrait en inventer des histoires : comme quoi elle travaille comme bénévole chez les soeurs ou qu'elle est en progression pour elle-même devenir soeur. Les gens pourraient peut être la croire, mais certainement pas ce chevalier ténébreux qui servait de colocataire à la belle. Ces jambes la portèrent à bon port sans encombres cette fois. Elle entra à l'intérieur et décolla ce sourire qui restait trop longuement encré à son visage. Air morne, elle se dirigea comme une morte vers ses appartements. La solitude la pris aussitôt de pleins fouet. Elle en était malade. Xue en avait besoin pourtant, mais ce genre de solitude lui donnait des sueurs froides et de violents frissons. Une odeur de mort faisaient fondre ses mûrs dans ce genre moment. Sans prévenir, elle se mit à hurler en rage et tout balancer d'un côté et de l'autre. Elle en avait marre…marre de vivre…marre d'avoir survécu…marre des gens…
C'est alors qu'un son retentit de son ordinateur. La chinoise inspira et s'approcha. Elle venait enfin d'avoir une réponse de son frère. Son sourire revint ressaisir ses lèvres et elle s'assit devant son écran comme si le chaos qu'elle avait semé il y a quelques secondes n'avaient jamais existé. Il était en Corée. Elle le savait ça. Et bien qu'elle pourrait organiser une rencontre, la demoiselle n'était pas certaine qu'elle aimerait rencontrer ce nouveau prétendant si jamais elle venait à le croiser.
**Que s'est-il passé avec JaeSeon. Il était si calme et près à tout pour mon frère…C'est l'autre idiot qui a tout bousillé? **
Xue ne pouvait s'empêcher de ne pas aimer le nouveau prétendant. Elle ne savait pas non plus tout ce qui s'était passée. La Xue que tout le monde connaissait ne se mêlait pas de ce genre de chose. Elle pleurait avec les gens lorsqu'ils étaient tristes, elle riait avec eux lorsqu'ils étaient heureux, mais ne se mettait pas en colère lorsque les autres l'étaient. Positivisme naïf. À l'intérieur, une bombe se retenait d'exploser. Petite Neige l'avait bien aimé ce petit coréen. Il semblait savoir, mais ce pliait au bonheur des autres, surtout à celui de son frère. C'était ce qui comptait après tout. C'est tout ce que cherchait la chinoise. Si son frère restait en vie, il continuerait de faire le bonheur de leurs parents…de ses parents à lui et elle pourrait enfin disparaître de leur vie. Reprendre la place qui lui était destinée.
Une envie de le revoir une dernière fois avant de disparaître se promenait dans les idées de la petite, mais aussi la peur que son frère la suivre et découvre le poteau des poteau rose. Les barrières de Xue tomberait et elle se retrouverait sans défenses, perdues dans un néant confondant et tortueux. Faire face à ce qu'elle n'avait aucune envie de faire face depuis des lustres et qu'elle camouflait avec des rires et des sourires. Un faux bonheur. Son frère la détestait dans le passé. Il ne voulait pas d'elle et la prenait comme un fantôme, mais avec ces réponses…si les rideaux tombaient que se passerait-il? Elle avait été trop loin pour reculer et ce depuis longtemps. Seulement deux personnes jusqu'à présent avaient eu pleinement conscience des maux de la jeune fille. L'un était un ami d'enfance et l'autre était ce chevalier en armure noir. Mais les autres? Ils ne disaient rien, mais savaient tout ou ils ne prennent que pour information ce qu'ils voient?
Une sorte de doute se prit dans les cauchemars de la demoiselle qui devrait bientôt se lever et se mettre en scène. Bagages montés, sur le seuil de la porte, son attention était toujours portée sur le fait qu'elle devrait trouver une solution. Quelqu'un. Une présence qui pourrait faire diversion au moment de la séparation.
Le Pink Aphrodisia était encore bien calme pour ce début de soirée. La chinoise en profita pour se cacher dans les loges et se préparer aux côtés des autres compatriotes qui performeraient ce soir-ci aussi. Sa tenue moulante et plutôt dévoilante gardait étrangement une certaine part des mystères de la fille ou c'était ce maquillage qui donnait l'impression qu'un voile soyeux couvrait la peau de la chinoise. Elle n'avait pas vu le temps passer, même pas vue les autres filles disparaître une à une et revenir se changer pour un moment de pause. On l'appelait déjà pour aller sur la scène. À grandes enjambées, elle traversa la pièce et parcourue l'étroit corridor qui menait à la scène. Pas à pas, elle s'avança jusqu'au fil qui la soutiendrait comme un ange. Ce fil qui était en fait la pôle qui lui permettrait d'envoûter un court moment les curieux avant de laisser la prochaine prendre sa place.
La musique fit son entrée et le corps de Xue se laissa envoûter par les sons. Elle connaissait sa performance par coeur, mais elle laissait toujours les événements et la musique prendre leur place pour lui donner des ailes. La pôle n'était qu'un accessoire pour s'approcher du ciel et le charmer. Supplier que l'on vienne la chercher, qu'on l'amène loin. Un dernier chant. Un dernier sourire. Au moment que son sabot toucha le sol et qu'elle s'apprêtait à se laisser tourner autour de la pôle, son regard se laissa captiver par un spectateur. Un tour passa. Elle chercha son regard à nouveau des yeux. Second tour. C'était bien lui. Que faisait-il ici? Troisième tour. L'a-t-il reconnu? Elle monta en trombe, escaladant le ravin, avant d'accrocher ses jambes et de se laisser tournoyer tête en-bas. Son regard avait reconnu le sien. Qui était-il venu voir?
Son esprit à nouveau embrouillé, elle chuta au sol. Une douleur vive la prit de plein fouet, la réveillant de son cauchemars. La musique continuait elle. De toute façon, il était déjà trop tard. Elle devrait quitter la scène et fuir, mais elle savait qu'elle serait rattrapée et enchaînée peu importe ce qui se passerait ensuite. Elle reprit donc la chorégraphie en évitant de trop en faire, vu la douleur qui la poignait dans le dos et à l'un de ses bras. Une révérence et elle quitta la scène se tenant à l'écart un moment, cherchant de nouveau le regard de son frère…qui ne devrait pas être ici.
Vendredi soir. Une longue semaine de labeur effréné, de courses incessantes dans les éternels couloirs de l'hôpital. S'étaient succédé rendez-vous avec mesdames Choi, Kim, Kang, Shin, Ho, Bang, Hong, Nam, Pyo, Han et j'en passe, toutes futures mères pour la première, deuxième, troisième fois, pour ajouter des notes au suivi rigoureux à lequel il les soumettait, pour faire taire leurs craintes multiples, pour établir un lien indispensable avec elles. Tous ces efforts pour un petit être en plein développement, un brouillon croissant qui nécessitait un million d'attentions particulières, histoire de lui épargner bon nombre de problèmes les neuf premiers mois de son existence - il en connaîtrait bien d'autres après. Le chinois ne pouvait s'empêcher de ressentir une fierté sans bornes lorsqu'il pensait à son travail, à ce qu'il accomplissait quotidiennement. Évidemment, il ne changeait pas le monde, mais enfin, c'était quelque chose, tout de même... Certains sauvaient des vies, lui, aidait à l'apparition de nouvelles, en quelque sorte. En même temps, ça compensait un peu pour les enfants qu'il n'aurait, il supposait. Car oui, un peu dur de procréer avec un autre homme, peu importe la bonne volonté qu'il aurait pu y mettre. Enfin, quoique déjà, il aurait fallu qu'autre homme il y ait... Y en avait-il un ? C'était compliqué, Xin ne savait plus trop au final.
Parce qu'il devait l'avouer, il ne faisait pas partie des plus doués à ce niveau-là: il était même disons, très néophyte, ayant eu pour toute relation celle qu'il avait entretenue avec Jae Seon lors de son premier séjour à Ulsan et une autre, très courte, à son retour en Chine, mais ça n'avait pas été quelque chose de bien sérieux et le sage-femme savait pertinemment qu'il n'avait été guidé que par la solitude pour celle-là. Puis, en revenant ici, il avait fait la rencontre d'un homme très charmant... Et il en était actuellement au point où il ignorait si tout cela n'était qu'un simple flirt ou si leur relation finirait par évoluer: une chose était sure, c'était qu'il ne serait pas celui qui pousserait les choses à aller plus loin. Pas que le chinois n'en aie pas eu envie, loin de ça. Seulement, jamais il n'aurait la confiance nécessaire pour prendre les devants sur l'autre et se montrer plus entreprenant, parce qu'il avait peur de faire une gaffe au final, parce que ce n'était tout simplement pas lui de faire le "premier pas" - ou disons, dans ce cas-ci, le deuxième. Le jeune Yue n'avait donc plus qu'à attendre de voir ce qu'il allait se passer, au risque de subir un échec relativement cuisant au final... Ce ne serait, bien sûr, pas le premier.
Mais pour l'instant, le moment n'était pas aux réflexions sur la complexité des relations amoureuses du maïeuticien: ce soir, il sortait avec des amis et ne comptait pas passer des heures à ruminer sur son célibat. Xin rentra donc du travail vers seize heures et des poussières pour prendre sa douche et ainsi se rafraîchir un peu, se changer par la même occasion. Repoussant avec culpabilité ses chats qui réclamaient à grands miaulements leurs caresses habituelles - il n'avait pas le temps ce soir -, le jeune homme entreprit de se dévêtir pour accomplir ses projets immédiats, se lavant en vitesse avant de se glisser dans un slim noirs qu'il accompagna d'un t-shirt blanc à col V. Rien de complexe, mais il aimait sincèrement la simplicité, n'étant de toute façon pas particulièrement doué pour les agencements de vêtements qui n'en finissaient pas. Ses cheveux, par contre, méritèrent une attention soignée, et, comme à son habitude, l'employé de l'hôpital s'attarda longuement devant son miroir, réprimandant chaque mèche rebelle en la déplaçant jusqu'à ce qu'elle soit à son goût.
Le bridé mangea une bouchée vite fait, nourrit ses minets, répondit à quelques messages - dont celui de sa soeur - sur Skype, et attendit. Un ami passerait le prendre d'une minute à l'autre et ils se rendraient au lieu de leur sortie entre garçons : le Pink Aphrodisia. Ce n'était, pour des raisons n'ayant pas besoin d'être élaborées, pas un lieu de prédilection pour notre jeune homme, mais ses copains n'étaient pas tous dans le même clan que lui et il abdiquait facilement à leurs demandes. Les danseuses, de toute façon, le fascinaient toujours avec leurs talons infinis et leur corps parfait, à virevolter allégrement le long de leur poteau brillant comme si elles ne faisaient qu'un avec leur unique accessoire, mais aussi avec la musique sur laquelle elles se trémoussaient sensuellement, faisant rêver leur clientèle avec leurs ondulations suggestives... Enfin, rien de tout cela ne le faisait réagir physiquement, pour s'y être rendu plus d'une fois. Ses yeux s'y plaisaient beaucoup, son cerveau aussi, mais en bas de la tête, plus rien n'était intéressé par le spectacle, qui le répugnait un peu parfois lorsqu'il voyait de vieux croulants s'exciter devant les demoiselles, probablement faute d'avoir quelque source de plaisir "réelle".
La musique l'assourdit lorsqu'il mit finalement le pied au bar: c'était fort, presque étourdissant, et il n'avait encore rien bu. La soirée n'était toujours pas commencée, car il ne voyait encore aucune silhouette sur scène, mais d'après la fébrilité générale, les filles ne devraient pas tarder. Xin et son ami allèrent s'asseoir près des autres tout en demandant quelque chose à boire, la fin de leur commande devant presque être hurlée pour couvrir les applaudissements survoltés et très soudains. Comme il l'avait prédit, la première danseuse s'approcha de la scène et offrit une chorégraphie lente et calculée, néanmoins très belle. Acclamations lui firent offertes lors de son départ, saluant l'arrivée de la deuxième employée. Elles défilèrent ainsi un bon moment et le chinois se leva pour aller chercher d'autres verres alors que ses yeux sombres effleuraient des traits beaucoup trop familiers en revenant à la table, si bien qu'il faillit en échapper ce qu'il tenait déjà avec difficulté. Quelqu'un avait clairement mit un truc dans son verre, c'était tout bonnement impossible. Impossible que sa soeur soit à l'avant, effectuant le même manège que les précédentes. Non, ce n'était définitivement pas elle, ce ne pouvait pas être elle, il était hors de question qu'il soit en train de regarder sa soeur presque nue se déhancher à l'avant.
Et pourtant. Il se sentit tout à coup très mal et s'empressa de laisser les verres à ses amis avant de laisser son regard chercher la jeune femme... Qui avait disparu. Eh merde, avait-il halluciné tout ça ? Il devenait fou, voilà... Ce moment devait bien arriver un jour ou l'autre. Ça le rassurait presque, en un sens... Non, elle était toujours là, elle venant de descendre de scène et semblait chercher quelqu'un des yeux elle aussi. Elle l'avait sans doute vu, voilà pourquoi elle avait eu l'air si troublée lors de sa performance. Xin s'approcha d'elle sans même savoir comme l'aborder, à la fois heureux de la revoir et choqué.
- Xue...
Fut tout ce qui parvint à franchir ses lèvres d'une voix hésitante, la faisant se retourner vers lui.
Accueil
