Quelques heures plus tôt, j'étais sortie de ma boutique préférée, des sacs à la main. J'étais rentrée chez moi. J'avais ouvert ma boite aux lettres, que je n'avais pas ouverte depuis au moins trois bonnes journées. Il y avait des pubs, des magasines, des factures, mais une lettre plus discrète attira mon attention. Il n'y avait pas d'adresse, ni de timbre. Cette lettre n'était donc pas passée par le service de la poste. Il y avait juste marqué "Park Mee Yeon" en gros, d'une écriture assez soignée et fine. J'avais déjà vue cette écriture, mais où, je n'en avais pas la moindre idée. J'avais d'abord pensé à Choi Kang, avec qui je m'entendais plutôt bien depuis quelques jours. Mais, il ne connaissait pas mon adresse, alors impossible que ce soit lui. J'ai alors pensé à Young Ji, mon confident et ami d'enfance. Il était le seul qui savait où j'habitais. Mes relations sociales étant proches du néant, ils étaient les deux seuls avec qui je partageais des choses. Cependant, j'avais déjà vu l'écriture de mon ami d'enfance, et je pouvais dire à coup sur que ce n'était pas celle de la lettre. Son écriture était plutôt comparable à des pattes de mouches, ce qui différait totalement de l'écriture soignée de l'expéditeur mystère. Je suis alors remontée chez moi. J'étais vraiment inquiète. Qui pouvait bien être l’expéditeur ? Ce ne pouvait pas être mon père non plus, car il était à l'étranger en ce moment, et qu'il envoyait toujours les lettres par la poste, ne connaissant personne dans le quartier. J'ai alors déposé la lettre mystère sur mon plan de travail, et me suis d'abord occupée de régler les différentes factures que je venais de recevoir. Loyer, électricité et eau. Trois chèques furent rapidement écrits, signés et mis dans des enveloppes.
Je restais maintenant là, à fixer cette enveloppe mystère. A vrai dire, j'avais peur de l'ouvrir. Je l'ai d'abord observée sous toutes ses coutures. Il n'y avait aucun nom à part le mien. L'expéditeur avait sans doute volontairement rien écrit afin que je sois obligée d'ouvrir l'enveloppe. Je me penchais, afin de prendre mon couteau à lettre. Je coupais alors l'enveloppe sur la pliure supérieure. Et pris le papier plié à l'intérieur. Une photo tomba. Je la ramassais, et la retournais. Mon sang se glaça. Ce visage, je le connaissais. Cet homme, je le connaissais. Je le connaissais trop bien même. Mes mains tremblaient, que me voulait-il ? Pourquoi réapparaissait-il dans ma vie ? Comment avait-il su où je me trouvais ? J'ouvris alors la lettre. Je reconnaissais maintenant son écriture, que j'avais tant haï étant plus jeune. Mes yeux s'embuèrent. Une lettre d'excuse, hein ? Ses excuses, ils pouvaient se les mettre où je pense. Les souvenirs que j'avais gardés enfouit au fond de ma mémoire, ceux dont je ne voulais en aucun cas me rappeler commençaient à refaire surface. J'avais beau me persuader de ne plus y penser, je revoyais son visage, je l'entendais prononcer mon nom, je sentais encore ses mains sur ma peau. Ce connard. Celui qui m'avait trompé, celui qui m'a fait perdre le goût de la vie. Je pris mes affaires. Je ne pouvais pas rester chez moi plus longtemps. Il fallait que je sorte, que je prenne l'air.

Une heure. Cela fait maintenant une heure que je suis assise au bar à m'enfiler cocktails sur cocktails. Je ne tiens pas l'alcool, et je le sais très bien, mais je ne peux pas m'empêcher de recommander un verre, puis encore un, et encore. Mon esprit est totalement embrumé. Ma vision, trouble. Je sirote mon whisky, manquant plusieurs fois de tomber de mon tabouret. Le serveur semble me dire quelque chose, mais la seule chose que je peux faire c'est de sourire comme une bécasse. Je ne comprends pas un mot de ce qu'il me dit. Je reprend ma paille et aspire le liquide qui me brûle la gorge. Puis, plus rien ne coule. Je fronce les sourcils et aspire un peu plus fortement. Toujours rien. Je regarde mon verre : vide. Je fais une moue boudeuse et me met à le gronder. Je parle à un verre, oui. Je prend mon sac, en sort des billets que je pose sur le comptoir et me dirige en titubant vers la sortie. Je ne tiens pas bien debout, et slalome dans la rue. Je me met alors à avoir le hoquet. Pas bon signe. Du tout. Je me tiens d'une main au mur à ma droite. Plus rien ne va, j'ai trop bu. Beaucoup trop bu. Un haut le coeur, et me voilà à genoux sur le trottoir en train de dégobiller dans le gazon de l'espace vert. Je vomis tripes et boyaux. Une forte odeur d'alcool me monte au nez, me donnant encore plus la nausée. Des larmes coulent sur mes joues, je n'arrive plus à m'arrêter. Je sens alors mes cheveux se relever, comme par magie. Je tourne la tête rapidement pour apercevoir des genoux et un semblant de volant noir. Je n'ai pas le temps de détailler, car je me remet à vomir deux secondes plus tard. Je continue de me vider pendant au moins cinq bonnes minutes. Je relève la tête et tombe nez à nez avec une magnifique inconnue qui me passe doucement un mouchoir sur la bouche. Elle me sourit. Je lui sourit en retour.

- Est-ce que ça va ? Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu quelqu'un vomir comme ça, vous avez dû perdre dix kilos au moins !

Dix kilos ? Déjà que je me trouve trop mince, je n'ai pas intérêt à perdre ne serait-ce qu'un gramme. Je lui réponds, m’efforçant de sourire avec le peu de force qu'il me reste

-Est ce que j'ai l'air d'aller bien ? J'ai trop bu, beaucoup trop bu. Je sais bien que je tiens mal l'alcool, pourtant. Merci.

Je sens ses yeux me fixer, me détailler. Je fais de même, elle est vraiment jolie. Un visage fin, très bien maquillé, et des cheveux vraiment magnifiques. Je frotte mon index sous mes yeux, au cas où mon maquillage ait coulé, et passe une main dans mes cheveux en bataille afin de les recoiffer. Il faut que je me relève, mais je sais que je ne peux pas. Je n'ai pas la force de me lever. Mes membres ne me répondent plus. Je sens une goutte d'eau tomber sur ma main, posée sur mon genou. Je lève les yeux au ciel. Il est étoilé, et aucun nuage n'est présent. Il ne pleut donc pas. Il me faut un moment avant de me rendre compte que ce n'est pas de la pluie, mais des larmes. Mes larmes. Elles coulent toutes seules, s'échappant de mes yeux sans que je leur en ait donné la permission. Je regarde alors autour de moi, gênée qu'une inconnue me voit dans un moment de faiblesse comme celui-là.

Je me lève doucement avec précaution, grâce à l'aide de l'inconnue. Je suis encore un peu chancelante, et un marteau piqueur commence à faire son apparition dans mon crâne. Elle m'offre un grand sourire avant de se présenter. Ses paroles me font plaisir, vraiment. On ne se connait que depuis une quinzaine de minutes et pourtant, je suis relativement à l'aise avec elle. Je lui souris en retour. Je suis profondément touchée par cette gentillesse. Je suis aussi vraiment surprise. Je la suis, traînant doucement les pieds, mes talons commençant à me faire souffrir. Je m’assois sur le banc, à ses côtés. Mon esprit embrumé divague encore un peu, et je ne suis pas très attentive à tout ce qu'il se passe aux alentours. Je fixe mes pieds auxquels j'ai chaussé de magnifiques escarpins de luxe. La plante de mes pieds commence à me chauffer. Avec toute cette agitation, j'ai vraiment malmené mes chevilles, mes pieds et mes chaussures. Oh et puis merde, hein. J'enlève mes chaussures et les pose sur le banc, à mes côtés. Mes pieds prennent un grand coup de frais. Je pousse un soupir de soulagement et de contentement, ça va mieux.
La question de Joo Yeon me fait redescendre sur Terre, alors que mon esprit recommençait à partir gambader dans une prairie d'herbe bleue avec des poneys multicolores. Oui, l'alcool et moi on ne fait pas bon ménage. Du tout.

- Oui, ça va mieux. Merci beaucoup, je me sens... libérée. Quoi que, tant que je n'aurai pas trouvé ce mec et que je lui aurai pas mis un bon coup de pelle, je ne serai pas satisfaite.

Je lui offre un sourire, sincère cette fois-ci, avant de commencer à rire. Je m'imagine, armée d'une pelle, arpentant les rues d'Ulsan à la recherche de cette pourriture. Un peu comme un jeu de chasse, je suis le chat, et lui la souris. Puis là, je le vois devant moi, en train de marcher tranquillement. Je m'approche doucement de lui, je lui tapote l'épaule. Il se retourne vers moi, une expression de surprise sur le visage... ET BIM coup de pelle dans la tronche. Il tombe à terre pendant que moi, je m'en vais tranquillement, ma pelle sur mon épaule en sifflotant une mélodie joyeuse et rythmée.
Mon rire cristallin redouble d'intensité, j'ai vraiment l'air débile à rigoler toute seule en pleine nuit, mais je n'arrive pas à m'arrêter. J'en ai même des crampes au ventre. J'essaie de reprendre mon souffle, en vain, ne pouvant m'empêcher de recommencer à pouffer quelques secondes après m'être arrêtée. Je reprend mon souffle, après quelques minutes passées à me tordre de rire sur le banc public. Je me tourne vers Joo Yeon et lui demande, d'une voix douce :

- Quel âge as-tu ?

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