Le soleil, astre chaleureux et supposément aveuglant, je trouve plutôt ironique que les gens lui accordent ce titre. Ils ne le prennent pas dans toute son ampleur selon moi, mais je ne peux pas leur en vouloir, moi aussi je comprenais mal ce mot. Pourtant, il planait au-dessus de mon nez depuis mon enfance. J’étais destinée à être aveugle en un sens, que ce soit à cause de ma maladie ou de la vie elle-même, apparemment. Cependant, que mon monde ne comporte plus de couleurs n’est pas aussi gênant que ce que les gens pensent souvent et ça, ils ne le comprennent pas tous. Les gens ont tendance à agir différemment avec moi, puisque je ne suis plus «comme eux». Pourtant, ma peau n’est pas devenue bleue, un troisième œil ne m’a pas poussé sur le bras gauche et je n’ai pas appris que mes parents biologiques venaient d’une planète lointaine dont le nom est imprononçable avec les sons humains! Ma différence les dérange plus eux que moi, mais il y a encore quelques personnes qui agissent normalement avec moi… Nathanaël fait partie de ces gens. En même temps, le contraire aurait été étonnant puisqu’il partage la même «anomalie» que moi. Je suis arrivée depuis peu à Ulsan, je fuyais un peu les bras envahissants de ma famille qui s’inquiète trop pour moi et je ne croyais pas rencontrer quelqu’un d’autre comme moi en venant ici. Le truc c’est que Nathanaël n’est pas comme moi seulement parce qu’il partage mon handicap, non, sur le point du caractère aussi nous nous ressemblons beaucoup. Je le considère un peu comme mon clone, mais en homme et avec d’autres petites options aussi, mais vous comprenez le principe! Je me suis vite attachée à lui et j’aime particulièrement le son de son rire.

Aujourd’hui encore je l’avais entendu plusieurs fois, ce rire si familier qui me fait toujours sourire aussi. Nous avions eu la brillante idée d’aller à la plage, mon obsession numéro deux ou trois dans la vie. Je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve très difficile de classer en ordre de préférences mes petites obsessions. Elles sont toutes un peu trop envahissantes dans ma petite tête. Je ne saurais choisir entre la musique, la danse, l’eau et le sucré. Ça, ce ne sont que les quatre plus grosses, les vraiment inclassables, mais il y en a une panoplie d’autres petites qui se trimballent dans mon cerveau et me font des numéros de séduction pour essayer d’avoir plus de places. J’avais averti Hiroto que je ne savais pas trop à quelle heure je reviendrais, donc de ne pas m’attendre pour manger ou autres, j’avais mes clés, ma canne, mon cellulaire et mon portefeuille dans mon gros sac de plage. Le tout avec ce que j’avais besoin pour la journée et des tonnes de friandises! Nous nous étions donné rendez-vous à un endroit stratégique, pour être sûrs de ne pas se rater comme deux idiots. Non mais, imaginez, les deux aveugles qui tournent en rond pendant cinq heures pour essayer de se mettre la main dessus! Bonjour la crédibilité quoi… Et surtout la perte de temps! Quand j’ai la chance d’avoir du temps à accorder à mes amis, j’aime bien en profiter au maximum. Parce que mine de rien, entre essayer d’apprendre correctement le coréen, travailler le piano et m’adapter au mode de vie d’ici… Je n’ai pas toujours autant de temps que je le souhaiterais. J’essaie aussi, même si ça peut paraître stupide pour quelqu’un qui voit bien, d’apprendre par cœur mon appartement, pour ne plus avoir besoin de ma canne. J’ai peur que le son qu’elle fait en se cognant doucement aux choses pour m’indiquer où elles sont ne finisse par déranger Hiroto. Toutes ces petites choses font que je n’ai pas toujours autant de temps que je ne le voudrais pour mes nouveaux amis, comme je le disais. 

Cependant, la température est trop belle pour que je reste enfermée chez moi là. Le soleil brille, sa douce chaleur se balade sur ma peau que je lui offre allègrement, après avoir mis une bonne couche de crème solaire. J’aime l’odeur saline de la mer, sa mélodie tranquille et sereine des vagues qui viennent soupirer en s’étendant contre la plage. On entend des éclats de rire ici et là, des enfants heureux qui courent, des gens assez rigolos qui draguent comme des pieds… Le sable est chaud et glisse sous les pieds, les chatouillant un peu à chaque pas. L’eau saline est tiède et rafraîchit divinement, enveloppant sans gêne tous ceux qui viennent se jeter à elle, s’offrant entier à ses délices. Sayuri et Nathanaël avaient fait partie de ces gens pendant une partie de la journée. J’avais mis un maillot blanc avec des fleurs multicolores, je ne l’ai jamais vu, mon ami non plus, mais Sumomo, ma chère cousine, me disait qu’il était joyeux ce maillot. J’aime les petits cordons, qui sont apparemment roses, parce qu’ils ont des petites billes au bout. Ça ajoute une petite déco que je peux «voir», j’aime que mes vêtements aient un petit quelque chose comme ça, que ce soit dans la coupe, le tissu ou un truc étrange qui les différencient. Un aperçu? Oui, ils ont chacun une étiquette en braille qui me dit ce que c’est et je peux donc choisir mes vêtements toute seule et les agencer de mon mieux, mais c’est toujours bien d’avoir ce petit plus je trouve.

Quand je n’étais pas dans l’eau avec Nathanaël, je riais avec lui sur la plage, le traînant par la main, à l’aveuglette, c’est le cas de le dire. C’est d’ailleurs ce que je faisais là, lui tenant la main et le tirant jusqu’à un stand de crèmes glacées. C’est du moins ce que la petite musique et les discussions des gens l’invitaient à croire. Je me disais qu’un peu de frissons sucrés nous ferait une petite douceur après notre matinée au soleil. Je suis pas mal certaine que si on n’avait pas mis de crème solaire, on serait devenus des homards tellement il fait soleil aujourd’hui. Une température parfaite pour être à la plage! Je me commandai une glace aux brisures de biscuits et crème, puis mon ami commanda la sienne aussi. Le charmant petit vendeur nous donna nos cornets, puis je repris la main de mon ami et le tirai avec moi sur la plage, commençant à manger tranquillement ma crème glacée.

-« Je ne sais pas pour toi, mais pour moi, elle est limite magique cette glace! » Partageai-je avec un petit rire, entre deux léchées de glace.

Je tenais sa main dans la mienne, comme toujours. Je me rapprochai alors de lui, collant mon bras contre le sien et appuyai ma tête sur son épaule tout en marchant. Pour quelqu’un d’autre, ce contact aurait pu être de trop, trop intime ou trop romantique, mais pas avec Nathanaël. Il sait que c’est simplement parce que je suis démonstrative moi aussi, que j’aime bien câliner les gens, mais que ça ne veut pas dire que je suis amoureuse. Une personne fait battre mon cœur depuis toujours, même si je n’en ai jamais parlé à personne et ce n’est pas mon clone, bien que je l’adore aussi.

-« On va s’asseoir un peu? Je suis pas très sûre de réussir à nager en mangeant de la crème glacée, je ne suis pas si douée que ça, tu sais! » Dis-je en riant encore, relevant ma tête vers lui, même si je ne le voyais pas.

J’attendis un peu, espérant qu’il m’avait compris malgré mon accent qui est encore plutôt prononcé. J’ai encore un peu de difficultés avec mon coréen en fait, j’utilise surtout des mots basiques ou quelques expressions simples. Hiroto m’aide beaucoup cela dit, mais malgré ses efforts, je reste incapable de lire cette langue. La parler, ça va, ça se fait bien, je comprends aussi pas mal tout ce qu’on me dit, sauf si on prend des mots trop compliqués ou scientifiques, sauf que la lire… ouf! Après quelques pas, je m’arrêtai. Je lâchai son bras et sortis une serviette de plage de mon sac avec ma main libre. Je la mis par terre et m’assis dessus, invitant mon ami, en lui tirant gentiment la main à s’asseoir avec moi.

-« Alors, tu as pratiqué un peu ton piano? Histoire de montrer aux gens combien tu es doué! En plus, les musiciens ça fait toujours craquer les filles! » Ajoutai-je en souriant bêtement, entre deux autres léchées de crème glacée.