J’écris pour essayer de trouver qui je suis.
Je sais que je m’appelle Kang
Minhwan Jakub, né le 21 janvier 1991. Je sais que j’ai une mère, Kang Min Ah. Une bonne personne qui ne mérite que du bien dans sa vie. Je sais que j’ai un père étranger, Wiktor Bajek, qui ne mérite même pas que je l’appelle « Papa ». Wiktor est une mauvaise personne.
Il avait un avenir qui semblait prometteur. Des bonnes notes à l’école, mais un tempérament explosif. On lui avait offert une bourse et des études à l’étranger, et il a sauté sur l’opportunité. Wiktor est allé étudier à Séoul, à la Yonsei University, en 1989. C’est là qu’il a rencontré ma mère. Tous les deux étaient étudiants en droits, dans la même. Avec un peu de belles paroles, d’hypocrisie et de mensonges, il a réussi à faire tomber ma mère. Mais… Wiktor n’était pas l’homme que maman croyait qu’il était. Violence, mensonges et encore plus de choses affreuses… c’était ça, leur relation.
Les notes de ma mère baissaient au fur et à mesure qu’elle se faisait blesser, peu importe de quelle façon. Elle s’est fait renvoyé de l’école, et elle est tombé enceinte par accident. Et le 21 janvier, j’existais.
Si maman n’avait pas réussi à mettre son pied à terre et me donner son nom de famille pour essayer d’éviter le racisme envers moi, mon nom aurait pu être Jakub Bajek. L’autre voulait absolument que j’aille un nom polonais, pour qu’elle se souvienne de lui pour toujours. Pour la blesser davantage. J’ai quand même eu un nom complètement coréen à la naissance,
« Mais Jakub doit être son nom officiel t’as compris pauvre conne ? »Je ne me souviens pas de mes trois premières années de vie. Maman dit que c’est mieux comme ça, de toute façon. J’ai parfois des flashbacks de quelques secondes, une voix masculine rauque et des cris féminins, un homme qui détruisait les sculptures de papier que je construisais. Je fais parfois des cauchemars, mais tout est flou. Maman a peut-être raison, peut-être que c’est mieux que je ne me souvienne pas.
Je sais que Wiktor prenait beaucoup de drogues. Il a décidé de nous abandonner, quand j’avais quatre ans, pour aller vivre avec une mineure qui avait les mêmes passe-temps malsains que lui. Un petit enfant de quatre ans ne pouvait pas comprendre ce qui se passait. Maman n’a jamais voulu me dire pourquoi il est parti. Elle m’a dit que c’était mieux comme ça, de toute façon. Maman ne m’appelait jamais Jakub, elle m’appelait toujours Minhwan. C’est mon nom coréen. Wiktor se fâchait tout le temps contre elle lorsqu’il entendait « Minhwan », donc il se passait parfois quelques jours sans qu’elle prononce mon nom. Lorsqu’il est parti, maman a continué à m’appeler Minhwan, et elle m’a même inscrite à l’école sous ce nom.
Je me souviens que ma mère n’a pu compter que sur sa propre mère pour l’aider. Mon grand-père est mort assez tôt du cancer des poumons, étant un grand fumeur. Mes grand-parents avaient une belle vie, ils avaient ramassé beaucoup d’argent et avaient un assez gros coussin monétaire. Ma grand-mère, qui est également ma marraine, a hérité de tout l’argent de mon grand-père. Elle a pu aider maman monétairement lorsqu’elle en avait besoin, et maman a pu terminer ses études. Elle travaille maintenant dans un bureau, et a un salaire moyen mais amplement suffisant pour nous deux.
Je sais que j’ai commencé très tôt à avoir des crises de colères. J’étais contrôlable, par contre, et le tout ne semblait être qu’une phase de caprices que tous les enfants vivent. Maman ne s’inquiétait pas trop, mais peut-être qu’elle aurait du. Je ne sais pas trop. Mes crises de colère ne m’empêchaient pas d’aller à l’école.
Comme mes deux parents (j’ai un frisson en écrivant cela, soudainement), j’étais relativement bon à l’école. J’apprenais vite, mais j’avais un talent un peu plus particulier en langues. J’avais commencé à parler assez tôt, je savais lire avant d’entrer à l’école, et j’ai été l’un des premiers à pouvoir écrire dans ma classe. Je sas que Kang Minhwan était parfois considéré comme un jeune prodige à l’école, malgré certaines notes qui laissaient à désirer, surtout en mathématiques. Je sais donc que j’étais bon en langues, j’étais bon en arts, j’étais bon dans tout sauf les mathématiques et les sciences. Je passais quand même tous mes cours, mais ces deux-là avec plus de difficulté. J’ai donc naturellement appris l’anglais assez facilement, ce qui m’a ouvert beaucoup de portes à la fin de l’école primaire. J’ai pu être accepté à une école anglaise à Séoul.
Par contre, à l’école, j’ai toujours été un peu plus seul. Ma personnalité ne correspondait pas avec celle des autres étudiants, et le peu d’amis que je réussissais à me faire étaient vite perdus. Mes crises de colères empiraient parfois, mais n’était pas aussi fréquentes qu’avant. Elles étaient parfois séparées par une phase où j’étais un peu plus triste et, au final, j’étais bien heureux de ne pas avoir d’amis qui devaient subir ma tristesse ou ma colère occasionnelle.
Dès ma première année à l’école anglaise, j’ai bien vu que mon statut de solitaire n’allait pas s’évaporer du jour au lendemain. En vieillissant, je commençais à avoir de plus en plus de traits étrangers, et mon sang polonais se remarquait plus facilement. C’est ironique, dans un sens, être victime de racisme dans une école anglaise. Je n’étais plus un solitaire, mais bien un intimidé, victime des insultes et des coups d’autres élèves plus vieux (ou pas) que moi, et souvent bien plus massifs. Ce petit manège a duré… quelques semaines, je crois, jusqu’à ce qu’une noona s’interpose.
Elle s’appelle Im Sarah. Comparativement à moi, petit garçon frêle de 12 ans, Sarah était une jeune femme florissante de 15 ans. Mis à part ma mère, Sarah est la première personne en qui j’ai pu faire totalement confiance. Noona est rapidement devenue ma meilleure (et ma seule) amie, et la seule à ne pas s’enfuir lorsque j’avais un changement abrupt d’émotions.
« Eomma, je veux prendre des cours de taekwondo », j’ai dit en arrivant chez moi, quelques jours après avoir rencontré Sarah. Ce n’était pas dans le but de devenir un Wiktor, mais plutôt de devenir un Jakub ou un Minhwan capable de se défendre, capable de défendre sa mère des Wiktor de ce monde, et capable de défendre Sarah. Maman a d’abord refusé, mais a ensuite accepté en voyant les quelques bleus que j’avais sur le corps. En même temps, j’allais parfois m’entraîner en cachette à l’école, tentant d’améliorer ma force physique et d’avoir, au final, une masse musculaire un peu plus importante pour m’aider à me défendre.
Je sais que j’ai failli me faire renvoyer souvent pour m’être battu avec ceux qui me frappaient au début. À toutes les fois, sauf une, c’était simplement de l’auto-défense. Une fois, c’est moi qui, en crise de colère, leur a sauté dessus. J’ai été suspendu pendant quelques jours, au grand désarroi de maman qui avait peur que je tourne mal. Je sais que j’ai passé tous ces jours dans ma chambre à pleurer et à me sentir coupable.
Je me souviens que pour essayer de contrôler mon humeur, j’ai essayé de faire des choses nouvelles, des choses qui m’intéressaient mais que je n’ai jamais pu exploiter à l’école. Pendant un cours d’art quand j’étais plus jeune, on a exploité la photo. J’avais gardé tout l’argent que j’avais reçu à Noël et à ma fête de ma famille, mais j’avais seulement suffisamment d’argent pour m’acheter un petit appareil photo numérique. Ma grand-mère en a eu vent, et elle m’a acheté un bon appareil photo professionnel pour mon 13e anniversaire, et a payé mes cours de photo. J’ai suivi des cours pendant environ 2 ans, et j’ai du lâcher pour me concentrer sur mes études. La photographie est rapidement devenue une de mes passions, bien que je n’aie pas pu exploiter tout ce que je voulais, comme la vidéo ou le light-art. J’aurais aimé exploiter tout plein de facettes artistiques visuelles.
Je sais que maman a déjà voulu que j’aille voir un psychologue parce qu’elle croyait que je faisais une dépression. Je sais qu’elle a déjà voulu me traîner à l’hôpital, une fois. J’ai peur de ces hommes avec un peu trop d’éducation qui croient savoir tout ce qui se passe dans ta tête. J’ai peur de passer pour un fou et d’être enfermé dans une pièce toute ma vie, parce que je me fâche souvent, ou parce que je peux souvent pleurer et vouloir mourir tout comme être très heureux dans la même journée. Au final, j’allais voir Sarah.
« Noona, je ne me sens pas bien », que je lui disais. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais noona a les bons trucs pour me calmer. Elle est capable de me faire arrêter de pleurer, de me faire desserrer les poings, et me donner un peu plus d’espoir et de confiance en moi.
Je sais qu’un jour, pour une fois, c’était Sarah qui avait besoin de moi. Je n’ai pas connu mon géniteur masculin longtemps, donc j’ai été habitué de vivre avec seulement un parent toute ma vie. Je ne sais même pas si Wiktor est encore en vie, et ça ne me fait pas grand chose, à vrai dire. De plus, ma mère n’a jamais voulu chercher quelqu’un d’autre. Mais Sarah a vécu avec ses parents toute sa vie. Sa mère française, et son père coréen. 10 petits jours après mon 15e anniversaire, j’ai appris la triste nouvelle : la mère de Sarah s’était suicidée. Je comprenais parfaitement le concept de la mort, de la tristesse et de la violence ; mais j’avais de la difficulté à tout assimiler et tenter d’aider les gens à mon tour. J’ai essayé d’être le plus présent possible pour elle, malgré mes hauts et mes bas émotionnels de plus en plus fréquents. Je me suis présenté aux funérailles, j’allais voir Sarah presque à tous les jours pour lui offrir du soutien et lui changer les idées. Toutefois… j’ai peur d’avoir échoué.
Je sais qu’un deuil c’est difficile à vivre. Mais comment aider quelqu’un à passer au travers lorsque nous même on ne l’a jamais vécu ? Un soir où j’avais un down beaucoup plus marqué, le tout mélangé à un sentiment de culpabilité et d’échec, le suicide est venu à mon esprit. En frappant le mur violemment, et en me cassant une jointure au passage, je me suis mis à pleurer, et je me suis promis une chose. Jamais je ne ferai cela à Sarah. Je ne lui ai jamais dit, non plus. Mes pensées suicidaires occasionnelles et ma promesse, c’était mon petit secret à moi.
C’est un peu avant de graduer de l’école anglaise que Sarah a décidé de quitter Séoul pour vivre à Ulsan, presque exactement trois ans après la mort de sa mère. Je sais parfaitement que je me devais d’être fort et accepter que Sarah fasse sa vie ailleurs, mais j’ai eu énormément de difficulté à accepter son départ. Mes notes ont baissé, mes sautes d’humeurs ont augmenté en intensité et en nombre, et ma mère s’inquiétait de plus en plus pour moi. J’ai tout de même réussi à graduer et obtenir mon diplôme et j’ai essayé d’entrer à Yonsei comme ma mère en Arts et Communication, mais mes mauvaises notes de fin d’année m’ont empêché d’être admis.
« Minhwanie, on va aller à l’hôpital », maman a dit lorsque j’ai fait l’une de mes plus grosses crises d’angoisse à vie. Non maman. J’ai si peur de l’hôpital, j’ai paniqué, j’ai pleuré, je me suis débattu, j’ai crié, j’ai frappé ma mère.
Ma mère était au sol, le nez en sang et les yeux pleins d’eau. J’étais debout, en position de supériorité, la respiration haletante, les mains tremblantes, le visage apeuré.
« Eomma.. ? », j’ai dit, la voix brisée.
« Je m’excuse eomma… je…. »Je suis parti en courant, sans manteau, à la pluie battante.
Je sais que j’ai couru pendant longtemps, jusqu’à ce que mon cœur me fasse mal, jusqu’à ce que j’arrête de pleurer et jusqu’à ce que mes jambes ne puissent plus me soutenir. Je suis tombé en plein milieu de la rue, pas très loin d’un point haut. Un pont ou un viaduc, je ne me souviens pas trop. L’idée de sauter m’est venue, mais ma voix résonnait dans ma tête.
« Je ne ferai pas ça à Sarah ». Je me suis assis, et j’ai composé son numéro en pleurant.
« Sarah noona… je… je m’en viens à Ulsan. J’ai peur pour eomma… je ne peux pas rester à Seoul noona, j’ai peur de lui faire mal… »Silencieusement, je me suis glissé chez moi, puis dans ma chambre. J’ai empoigné un gros sac et je l’ai rempli de vêtements. J’ai agrippé mon appareil photo et je l’ai déposé dans le sac. Quelques vêtements, mon argent, mon appareil photo, mon portable, le chargeur de mon téléphone cellulaire et mon lecteur mp3. Rien d’autre. Avant de partir, j’ai pris un crayon et une feuille de papier.
« Eomma
Je suis vraiment désolé. J’ai peur, tu sais. Je ne veux pas être comme lui, j’en fais des cauchemars presque à toutes les nuits. Je suis désolé de ne pas avoir été un enfant à la hauteur de tes attentes. Je suis désolé que ton Minhwanie n’aie pas été accepté à l’université. Tu dois être déçue, ne ?
Ce… ce n’est pas une lettre de suicide, si tu te demandais. C’est une lettre de départ. J’ai trop peur de moi-même, j’ai trop peur pour toi. Je ne peux pas rester à Séoul parce que j’ai peur de te faire davantage de mal. Je vais partir ailleurs… j’ai pensé à Ulsan, c’est assez loin de Séoul pour que tu sois saine et sauve.
Je suis vraiment désolé, je t’aime tant.
Minhwanie »
J’ai déposé la lettre sur la table de la cuisine avant de m’en aller, cherchant la gare d’autobus la plus près pour un express vers Ulsan. Avec la lettre j’ai laissé mon numéro de téléphone et l’adresse de Sarah, pour lui montrer où j’allais être pour un certain temps.
Je sais que je suis arrivé à Ulsan le lendemain, totalement perdu. Je sais que Sarah m’a aidé à me repérer, et qu’elle m’a également aidé à m’héberger. Je sais qu’un peu après être arrivé, j’avais reçu une lettre de ma grand-mère avec de l’argent.
« Jakub-ah…
J’ai confiance en toi. Je sais que tu ne seras pas comme lui. Je sais aussi que tu vas avoir de la difficulté à te trouver un emploi toute suite, alors je vais t’aider. Je veux seulement que tu me promettes de te prendre en main et de retourner à l’école, d’accord ? Je t’aime fort »