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Dimanche, journée de congé. Xin en avait profité pour rattraper quelques heures de sommeil, n'ayant pas souvent l'occasion de dormir autant : évidemment, la décision n'en tenait pas qu'à lui et il fut dérangé de son précieux repos aux environs de 10h30 par Sheng, son réveille-matin habituel, timidement suivi par le dernier arrivé de la bande, qui semblait avoir prit le plus vieux matou d'affection. Les traits toujours endormis, le chinois bailla paresseusement avant de s'étirer, ramenant par la même occasion vers lui ses deux bêtes ronronnantes pour les cajoler un moment, sourire aux lèvres. Les moments comme celui-ci ne manquaient jamais de le rendre heureux, peu importe à quel point il pouvait être de mauvaise humeur avant. Ses chats étaient une grande partie de sa vie, et si certaines personnes jugeaient son affection envers ses animaux un peu abusive, le maïeuticien n'était pas du tout de l'avis de ces gens: ceux qui portaient ce jugement n'avaient clairement jamais possédé de félin et ne pouvaient donc pas seulement imaginer à quel point leur présence à elle seule était une véritable thérapie, à quel point leur amour réchauffait les coeurs les plus refroidis, à quel point leur manies et leurs habitudes finissaient par faire partie intégrante de la vie de leur propriétaire, comme l'on s'accoutume à celles d'un amoureux avec le temps.

Un miaulement rauque le tira finalement de ses réflexions et il soupira doucement, son sourire demeurant toutefois en place. Tout bon moment avait apparemment une fin (et dans ce cas-ci, une faim). Repoussant ses deux compagnons, il s'étira tel un pacha et s'extirpa finalement du lit en se frottant les yeux, se traînant jusqu'au placard où il rangeait la nourriture pour chats dans le but de nourrir ceux-ci, qui se mirent à lui tourner autour en ronronnant férocement dès qu'il eut le sac en main. Chose faite, il s'affaira à préparer son propre repas. Enfin, préparer. Disons qu'une pâtisserie achetée au supermarché et un verre de jus feraient l'affaire: il était loin de posséder quelconque talent et volonté pour cuisiner et se contentait donc souvent de plats surgelés ou de recettes simplistes. D'ailleurs, parlant de plats surgelés, son stock habituel avait mauvaise mine, ne se résumant plus qu'à deux plats... Ce qui n'était malheureusement pas suffisant pour entamer la semaine à venir. Bon, une visite au supermarché s'imposait apparemment aujourd'hui : peut-être trouverait-il également de quoi occuper sa journée en sortant un peu de son appartement.

Mais tout d'abord, la douche: l'eau chaude acheva de le réveiller et, après avoir enfilé un jeans et un t-shirt assez long, il entreprit de se rendre présentable au monde entier - à la ville du moins - et passa un moment à arranger ses précieux cheveux. Lorsque tout fut à son goût, il attrapa ses clés et sortit en verrouillant la porte derrière lui, n'ayant pas oublié de glisser son portefeuille dans l'une de ses poches au passage. Il arrivait en effet fréquemment que le chinois oublie cet important détail et qu'il ne réalise qu'il ne pouvait pas payer après avoir fait ses courses... Ce qu'il pouvait être distrait parfois ! D'ailleurs, preuve à l'appui : il venait de passer l'arrêt de bus sans même s'en rendre compte. Demi-tour, accompagné d'un grognement découragé envers sa propre personne. Il ignorait comment il réussissait à être parfaitement attentif lorsqu'il travaillait et surtout, pourquoi il n'arrivait pas à garder le même réflexe en dehors de son job. Quoique bon, le jeune homme préférât nettement qu'il en soit ainsi... L'inverse serait assez triste et enfin, peu pratique. Vous imaginez ? "Beau temps madame, n'est-ce pas ? Je crois que tout à l'heure, je vais aller au parc, et peut-être à la plage, qui sait... Quoi, je ne vous ai toujours pas donné votre bébé ? Ah oui, en effet, tenez..." Accouchement magnifique, que de beaux souvenirs, vraiment.

Tout de même amusé par l'idée, il mit le pied au supermarché en riant doucement. S'emparant d'un panier, le chinois y déposa quelques items - ayant évidemment oublié de faire une liste précise - avant de se diriger vers le comptoir des plats préparés. Un tour du côté du pain, fruits et légumes, produits en vrac et condiments, puis finalement, les produits laitiers. Il était cruellement à sec en crème à café, et c'est ainsi qu'il prit la direction de l'allée en question, se penchant devant le réfrigérateur pour attraper une pinte. Avait-il besoin de lait ? Il ne savait plus... Autant en prendre aussi. Déposant donc l'objet dans son panier, Xin fit volte-face pour s'éloigner... Et s'arrêta brusquement dans son élan, en échappant presque ce qu'il tenait. Les yeux rivés sur le jeune homme qui se trouvait à quelques mètres de lui, il devait avoir l'air d'un véritable halluciné. Pourtant, il doutât fort que ce fut une vision.

- Oh, Jaeseon...

Fut tout ce qui lui échappa, alors qu'il baissait les yeux pour fixer ses provisions.

À voir sa réaction, Jae Seon n'était définitivement pas une illusion: il était bel et bien là, en chair et en os, son visage déformé par le même air béat qui affligeait probablement celui de Xin. Réaction un peu normale, me direz vous. Ils ne s'étaient pas vus depuis quoi… Deux, trois ans ? C'était amplement suffisant pour expliquer leur étonnement, d'autant plus que leur séparation avait été… Enfin, comment dire… Abrupte ? Oui, disons que c'était le mot approprié. Évidemment, ils n'avaient pas vraiment eu le choix de le faire : tandis que l'un se dirigeait de plus en plus vers une carrière prometteuse, l'autre devait quitter le pays, son visa de travail étant sur le point d'expirer. Rien pour aider leur couple, en somme… Peut-être celui-ci avait-il été voué à l'échec dès ses premiers moments ? Il n'en savait rien, et ce n'était pas faute de s'être maintes fois posé la question. Ces remises en questions étaient probablement normales - il tentait de s'en persuader, du moins - vers les derniers instants d'une relation… Mais encore aujourd'hui, il lui arrivait de se poser la question comme ça. C'était sans doute ce qui arrivait aux premiers amours que l'on sèvre prématurément: on ne pouvait s'empêcher d'y ajouter quelques "et si…".

La voix du jeune homme tira le chinois de ses songes. Oh, sa voix… Comme il avait auparavant passé des heures à l'écouter ronronner pour lui ! L'entendre de nouveau lui donnait une désagréable impression, un mélange amer de familier et d'inconnu, un peu comme si ce qu'ils avaient vécu n'était qu’un rêve dont il subissait à l'instant le sentiment de déjà-vu souvent indescriptible. Ses salutations lui arrachèrent un sourire crispé, tandis qu'il n'osait toujours pas poser les yeux sur lui, préférant scruter ses emplettes. Hm, ça lui… Permettait de réviser ses achats ? Oui, sauf qu'il avait à peine une quinzaine d'articles dans son panier et que tout ça ne prenait définitivement pas cinq minutes à examiner. Surtout qu'il sentait parfaitement le regard du plus vieux glisser doucement sur lui… Quel idiot il faisait, daigner le regarder n'était pas une épreuve insurmontable ! Le maïeuticien se résigna donc à autoriser ses prunelles sombres à se poser sur Jae, évitant toutefois de croiser ses égales… Pourquoi ? Il avait peur, du moins, il croyait avoir peur. Que se passerait-il s'il était soudainement envahi par une vague de culpabilité soudaine, s'il s'en voulait de ne pas avoir assez essayé, assez persisté ? Si, rongé par les remords, il se mettait à le noyer d'excuses jusqu'à ce que son ex ne le prenne pour un vrai fou ?

- Ça, ça va… Et… Toi ?

Une voix assurée. C'était ce à quoi se résumaient ses intentions: ne lui échappa qu'un glapissement timide, un murmure tremblant, alors qu'il réalisa en plein milieu de sa réponse que le jeune homme venait de l'inviter à aller chez lui… Pour manger, en plus. Quiconque avait connu le couple quand il existait encore savait pertinemment que Xin était le plus gourmand des hommes lorsqu'il s'agissait de la cuisine du jeune Lim. Sincèrement, ce dernier aurait pu avoir une brillante carrière en restauration s'il avait décidé de se lancer dans le domaine. Il avait ce don particulier pour faire avaler à peu près tout au chinois, lui qui était habituellement assez précis sur ses goûts culinaires. L'idée de pouvoir se délecter des créations alimentaires de Jaeseon lui était donc naturellement alléchante - sans jeu de mots… ou peut-être que si, en fait -, mais, bien sûr, son estomac ne serait pas le seul à accepter l'offre. Ces deux-là avaient probablement beaucoup à se dire…

- Je, je veux bien… Je te suis. ~

Faible rire, cette fois plus détendu, tout comme le ton qu'il employa. Il vint même déposer son regard au fond du sien, un très bref instant, avant de le forcer à dériver vers son panier, qu’il poussa doucement pour suivre les pas lents du coréen. Pas qui les menèrent tous les deux vers l'allée de la charcuterie dans un silence un peu gênant et qu'aucun n'osait rompre pour l'instant. Xin attrapa un petit morceau de boeuf; il ne raffolait pas de la viande et de toute façon, pour les rares fois où il cuisinait, en acheter des masses n'en valait pas la peine. Au pire, il "l'oublierait" chez Jae… Il se remémora finalement un sms que celui-ci lui avait envoyé, il y avait de ça un moment déjà.

- Hm, tu as… Fait ton service militaire, alors ?

Évidemment qu'il l'avait fait, grand idiot, sinon, pourquoi t'aurait-il envoyé ce message ? Néanmoins, il avait ressenti le besoin de mettre fin à cette absence de discours qui le dégoûtait, alors qu'ils pouvaient avoir, à l'époque, un nombre illimité de discussions sans fin...

Après avoir déposé la viande dans son panier, Xin lança un regard un peu égaré aux étagères de nourriture qui s’élevaient autour de lui. Il ne savait plus trop ce dont il avait besoin, à vrai dire. Un léger soupir franchit ses lèvres : il n’aurait qu’à revenir si quelques items manquaient à l’appel, mais le fait de perdre de son précieux – non – temps pour venir chercher des trucs qu’il avait bêtement oubliés l’énervait un peu. Enfin, ce n’était pas la fin du monde non plus… Il n’habitait pas très loin et bon, au pire, l’autobus existait. Même si il détestait prendre l’autobus, genre intense. Ça puait. Et il se retrouvait toujours coincé entre un espèce de punk étrange et une vieille dame qui mettait trop de parfum. Au moins, ça puait autre chose. Ugh.

Bon, c’était l’heure de briser un peu ce presque silence – tout ce qu’il entendait pour l’instant était le moteur des réfrigérateurs qui les entouraient et les blablas de quelques autres clients de l’épicerie. Vint donc sa question, un peu bête et pigée au hasard. Bon, il n’y avait pas trop réfléchi, mais au moins, il avait disons, brisé la glace qui le dérangeait véritablement. Hn… À voir la tête que le coréen avait tirée, peut-être n’était-ce pas le meilleur moyen ? Il ne semblait pas avoir envie du tout de parler de ça. Le sage-femme se mordit la lèvre, s’en voulant un peu. Il était stupide… Entamer leurs retrouvailles par une discussion sur son service militaire, vraiment ? La météo aurait été préférable tiens.

Voilà, il s’en voulait.

Il n’insista surtout pas sur le sujet lorsque Jae lui répondit, bien qu’il aurait aimé savoir quel pouvait bien être ce « concours de circonstances » qui l’avait poussé à intégrer l’armée. Eurk, l’armée. Il n’avait jamais compris cette nécessité qu’était le service obligatoire, sérieusement. En plus, ça semblait rendre très fiers les coréens, ce qui l’exaspérait encore plus. N’ayant pas la nationalité du pays, au moins, il y échapperait. Mais, tôt ou tard, il devrait voir y aller tous ceux qu’il aimait – Ji Hoo, Mun Hee, Jin Ki, etc. –  et, il le savait pertinemment, il se mettrait à détester encore plus que maintenant cette caractéristique de son peuple d’adoption. Hmf, il pourrait se présenter à la présidence, tiens. Et révolutionner la société. Et se faire assassiner au coin d’une ruelle sombre. Il préférait encore le domaine de la santé.

- Oh, pas de problème…

Lâcha-t-il ainsi, signifiant donc qu’il ne chercherait pas à en savoir plus… C’était bien la moindre des choses, il avait assez gaffé comme ça. Il se contenterait de dire le strict minimum, parce qu’il sentait qu’il allait échapper une connerie malaisante – il était assez doué dans ce domaine.  Le duo se dirigeait donc vers les caisses et Xin laissa le plus vieux poser ses choses en premier. À sa question, il sourit légèrement.

- Je suis revenu travailler ici… Ulsan et tous ses gens me manquaient… Et puis, ma sœur aussi est ici. Et je, je préfère la Corée du Sud à la Chine.

Voilà quoi. Il ne détestait pas ses terres d’origine, mais, il ne les choisirait pas en premier. Enfin, c’était ce qu’il avait fait, il ne les avait pas choisies. Bref, son ex paya, et il lança un dernier coup d’œil à son panier… Ah, la bouffe pour chats.

- Attends-moi, je reviens.

Il s’éclipsa un instant pour aller s’équiper d’un immense sac de Purina Pure Life, qui, avec quatre chats, aurait vite fait de disparaître. À son tour, il passa à la caisse, puis ramassa ses quelques emplettes et suivit le jeune homme qui l’accompagnait en silence jusqu’à chez lui.