Je te souris, car tu es bien le seul à me faire passer par toutes les couleurs de mes sentiments, le seul qui m’en fait découvrir. Tu as ce don que tu ne soupçonnes même pas, t’en rendras-tu compte un jour ? J’ose espérer que tu n’en profiteras pas. Je suis fier, de pouvoir retrouver un rythme plus sportif ou du moins soutenu, ainsi nous pouvons courir côte à côte, silencieux. Et lorsque nous nous arrêtons, nos regards se croisent. Nous avons pensé à la même chose: passer la journée ensemble.

Tu proposes d’aller au cinéma, comme tu le fais apparemment en semaine, durant l’absence d’étudiants et d’enfants qui sont là où nous devrions être. Mais je ne te reproche rien, un sourire amusé en guise de réponse et un hochement de tête suffisent à exprimer clairement ce à quoi je pense. Je suis d’accord.

Un tee-shirt emprunté, un verre d’eau servi, j’attends patiemment que tu pianotes sur ton ordinateur, m’aérant légèrement. J’ai tendance à rapidement perdre mes couleurs lorsque je me surmène, cela dit, je compte sur toi pour me les faire retrouver. L’eau glisse et me fait du bien, une goutte m’échappe, déposée sur mes lèvres que je récupère de ma langue, sensuellement, venant te rejoindre après avoir nettoyé puis rangé ce à quoi j’ai touché. Ma tête se pose même sur ton épaule. Oui, j’ose, mais tu as commencé.

Je ne suis pas aussi distant que j’en ai l’air. Il me semble que c’est la troisième fois que nous sommes si proche, je ne compte pas cette nuit, car tu dormais profondément déjà lorsque je t’ai enlacé.

Une fois décidés, nous marchons jusqu’au lieu de rendez-vous de la veille, récupérant ainsi ma voiture qui nous mènera au cinéma le plus proche. Je n’oublie très certainement pas de nous rassasier de pop-corn, il y en a des salés comme des sucrés dans le pot et de deux boissons. Nous ne faisons pas la queue bien longtemps. Fais attention, car à me montrer ce chemin, je risquerais de l’emprunter plus souvent, serais-tu prêt à me supporter autant ? Je souris d’avance de te voir te lasser, je préfèrerais, que tu ne me brises pas le coeur lorsque tu te rendras compte que notre relation n’a rien, réellement d’amical... j’hésite encore, mais je me voile la face...

• Il n’y a presque personne, c’était une bonne idée, nous serons tranquilles ainsi.

Nous serons presque comme chez l’un ou l’autre, confortablement installés, à tout se permettre, comme si cette pièce était à nous... comme si nous étions libres de tout. J’aime caresser cette idée et au plus les lumières s’affaiblissent dans la salle, au plus je me complais.

Je suis silencieux, et pourtant frustré, car j’aimerais pouvoir te parler. Les mots ne viennent pas, je n’ai pas pour habitude de prendre la parole pour dire ce qui me passe par la tête... il faudra m’habituer. Je m’agace tout seul, mais ma bonne humeur est bien présente et finalement, en tapotant l’accoudoir du siège au revêtement velours rouge, je me lance.

• Je me demande quel genre d’inspiration tu as, ce qui te fait frissonner te donne envie de dessiner, de déchirer la toile, de faire voler l’oiseau que tu dessines..., c’est stupide, mais je suis certain que tu as ces pulsions

C’est, comme qui dirait, propre à l’artiste d’avoir sa muse, son souvenir fétiche, un thème particulier ou quoi que ce soit d’autre, j’étais réellement curieux de savoir ce qu’il en était pour lui, m’attendant également à ce qu’il me la pose à mon tour. Mais je n’aurais pas de réponse à proprement parlé. Si ce n’est peut-être une, un thème général... qui nous est sans le moindre doute commun, car au plus je l’entends, au plus il me semble que nous sommes semblables en ce point.

Je me mords la lèvre, me concentrant sur les lumières qui s’éteignent lentement et le projecteur en route, seule source lumineuse de l’arrière-salle, bien cachée. J’ai toujours admiré ce travail fastidieux, d’avoir à subir tous ces films sans pouvoir les toucher du doigt. Il doit en avoir horreur à force... mais quelle générosité de sa part de les passer en boucle. Ne t’es-tu jamais posé la question ? Si nous étions destinés, nous aussi à sortir de cette bobine... et à créer notre propre cercle qui lui n’aurait aucun vice ?

Tu regardes le calendrier pour une raison obscure pour moi. Je ne te demande pas pourquoi, parce que je ne veux pas savoir, je crois que ça ne me regarde pas... ais-je bien fait de ne pas me mêler ? J’ai tout le temps pour le faire, mais sans avoir le rôle du grand frère que j’aurais du acquérir plus jeune. Je n’en veux plus, je crois... mais tu me l’attribues quand même, je le sais, tu l’as toujours fait. Tu as un moment d’absence et j’observe ce qui bouge sur l’ordinateur, tes doigts, ou devrais-je dire, ta main entière qui s’activait sensuellement... je me mords la lèvre, réprimant un certain rire moqueur... que tu risquerais de prendre à contre sens. En toute innocence, je ne sais pas ce qui t’a pris, mais ça m’a amusé.

Nous arrivons bientôt, et nous nous installons, tu souris toujours, comme moi. Je suis content que tout aille mieux entre nous, mais j’avoue me demander parfois quelle est la raison de ce soudain rapprochement, quel a été le déclic. Je ne préfère pas me poser plus de questions et me tais un instant, qui me parait durer des heures. Finalement, je pose ma question et tu me fais taire en me promettant que je n’aimerais pas. Je pense avoir compris et effectivement ça ne me plait pas, mais il y a beaucoup de grands de ce monde qui ont connu la transe par des procédés tout autant décalés. Les drogues, entre autres. Je suis finalement inquiet à penser à cela, y as-tu déjà touché ? Je t’avouerais avec grande honte avoir voulu essayé, et la seule sensation de mal-être qui en a découlé à suffit à me dissuader de poursuivre, cela dit la motivation engendrée de a été relativement productive et récompensé par le biais de mes tableaux. J’ai préféré être sage... car ça m’aurait détruit.

Je voudrais te demander, mais ce sujet que nous abordons presque aussi souvent que nous nous voyons à présent a le don d’être conflictuel et pour le moins du monde je ne voudrais gâcher ce moment si précieux à mes yeux, ainsi je t’écoute sagement et brule cette question obsédante en me concentrant sur la raison de notre venue. Ce film est intéressant, il y a tout ce qu’il faut pour se plonger dedans, pourtant, j’ai quelque peu du mal, car je sens ton regard peser au bout d’un moment et je me tourne, te regardant. Me reprocherais-tu par le plus grand des hasards, cette question ? Elle était innocente au départ... n’en doute pas.

• Suis-je si intéressant pour que tu me dévisages de cette façon ?

Je suis flatté et te souris de cette façon taquine qui te plait tant. Je ne joue pas avec toi, c’est simplement ma réelle façon d’être. Je suis très souriant en réalité, mais assez réservé également. J’aime à plaisanter et déstabiliser mon entourage... et j’aime que l’on me déstabilise encore plus. Jusqu’à présent, tu as été un adversaire redoutable, tu l’es encore d’ailleurs, c’est pour ainsi dire l’une des raisons qui m’ont sans doute poussé à te connaitre davantage. Je pense également que c’est pourquoi j’aime tant parler avec toi, te découvrir, car ainsi je ne me dévoile pas à n’importe qui... et je te prouve que tu n’es pas n’importe qui à mes yeux.

Je ris légèrement, moqueur, mais, dans mes yeux, aucune trace de noirceur, si ce n’est la couleur de ma pupille, tu n’y trouveras aucune amertume, aucune négation, rien qui puisse t’offusquer... pour peu que tu regardes de plus prêt et te serve de cette fenêtre vers mon être, celui que j’enfouis d’ordinaire au plus profond. Si tu l’entrevois, alors ce sera mon cadeau, pour m’avoir fait découvrir un bout de toi, même si je ne suis pas sur d’en saisir encore toutes les nuances, car comme moi, tu n’es pas fait que de blanc, ou de noir, non... il y a des milliers de couleurs qui te dessinent... et tu n’imagines pas à quel point c’est rare. C’est cette espèce, en voie de disparition qui m’attire, qui m’ensorcèle, qui me lit à toi, comme si nos couleurs étaient destinées à s’entremêler, mais oserais-je t’en parler un jour ? De ce rêve vers lequel ma main est tendue et qu’elle ne peut saisir... je n’ai pas encore mis le doigt dessus... je m’y refuse peut-être... car j’ai honte... car je suis torturé de te désirer ainsi... je n’en ai pas le droit.

Tu as l’air satisfait, bien plus détendu et j’en suis content, même si ce n’est pas encore ça. Nous faisons tous deux preuves de maladresse, mais qu’importe, ce qui compte est que chacun fait l’effort, moi particulièrement. Je suis soulagé que tu ne m’en veuilles pas, j’aurais été surpris que tu tiennes tête pour si peu à vrai dire, mais j’aurais compris, même si accepter aurait été un peu plus compliqué.

• Hm... oui, c’était bien

Avouer que je n’ai pas trop suivi était un effort surhumain, ce serait te donner l’occasion de comprendre que tu as une importance telle, qui plus est assez louche et je préfère éviter de te faire trop réfléchir sur le sujet. Si tu le découvres, je serais plus fragile encore que ce que tu as pu entrevoir jusqu’à présent, cette fameuse nuit sombre comprise.

Nous sortons et je te perds un instant, le tant que tu prennes des friandises et je souris en te laissant faire. Tu t’excuses et m’expliques ton habitude, je hoche doucement la tête, il n’y a pas mort d’homme, je ne suis pas contre non plus. Puis nous nous asseyons. Il fait un peu plus froid en sortant, était-ce le changement de température ? Ou bien ça avait changé entre temps ? Les deux sans doute. Nous sommes peu couverts, mais j’ai supportés toutes les températures jusqu’ici, bien plus froides comme bien plus chaudes que nos étés. Cela n’empêche pas pour autant le souffle glacial de la ville de m’emporter.

• Je trouve ça bien, qu’on puisse sortir tous les deux.

J’aurais voulu le faire plus tôt à bien y réfléchir, mais ça m’était impossible, car j’étais trop borné et influencé par ma haine... une haine puérile d’une part, et justifiée de l’autre... concernant cette mère sur qui j’aurais dû rejeter toute faute plutôt que toi.

Je te vole quelques bonbons, histoire de calmer mon estomac envieux puis je regarde aux alentours, il n’y a pas grand monde. C’est une journée idéale pour profiter à deux du silence, du calme de la ville. Je reçois encore un appel, mais je ne décroche pas, je sais de qui il vient et je n’ai aucune envie de lui parler. Tu dois sans doute te dire que je suis un mauvais fils, ou qu’elle me harcèle, au choix. J’espère que tu ne comprendras trop rapidement que cette relation n’est pas habituelle... mais je te sais intelligent et observateur... Rapidement, l’envie de changer de sujet me prend.

• Tu vas souvent seul au cinéma ? Pourtant, tu as des amis, ça ne te dis rien d’y aller avec eux ?

Je ne vais pas m’en plaindre, je préfère profiter d’être avec lui, et lui seul. Mais d’une certaine façon je me demande s’il n’est pas aussi solitaire que moi. Sortir le soir est une chose, qui ne guérit pas la solitude, la vraie, celle que l’on ressent même lorsqu’on est accompagné. C’est une chose que je connais bien... et qui m’a souvent angoissé, car je ne comprends toujours pas pourquoi je suis si peu enclin à m’ouvrir aux autres... ou peut-être que je refuse seulement de voir la réalité en face... d’accepter certaines choses.

Il commence à peine à neiger et je ramasse déjà les flocons qui me tombent dans les mains, les laissant se réchauffer et me geler les mains de leur eau glacée. Une soudaine envie de dessiner me prend, mais pas seulement. J’aimerais jouer comme un enfant, construire des bonshommes en neige et mener une bataille... mes yeux s’illuminent bien malgré moi et je soupire en me disant que c’est impossible.

• On nous interdisait d’aller jouer dans la neige... et toi tu le faisais toujours.

Je t’envie... si tu savais, d’être si libre. Je ne peux pas trop désobéir, car j’ai certaines responsabilités, je me rends compte que toi tu ne les as pas, ou moins. Tu te faisais tout de même réprimander et moi j’étais satisfait, car je pensais que justice était faite... je suis pitoyable.

Je suis content de ne pas être aussi ennuyant que le prétendent mes camarades, bien que je me contrefiche de ce qu’ils pensent en réalité, car aucun d’eux ne sait réellement apprécier les coutumes de l’autre. Je souris et te vole encore quelques sucreries tandis que la neige tombe lentement. Tu as eu la même réaction que moi, au fond nous sommes deux grands enfants, essayant de rattraper le temps perdu. Cette image est délicieuse et soit sûre que je la reporterais sur mon nouveau carnet. As-tu feuilleté le premier ? Tu y figures souvent, l’as-tu remarqué seulement ? Détesté ou aimé, tu es l’être qui m’a inspiré le plus de créations.

Tu saisis ma main et je me tourne vers toi, tout aussi paniqué, bien que pour l’exprimer je me fige. Je me mords la lèvre puis m’exécute, soufflant doucement pour faire fondre ou pour dégager ce qui s’est glissé dans ton oeil. Je n’avais pas remarqué que tu portais des lentilles, mais à vrai dire c’était prévisible, tout à fait ton genre. Tu as beau ne pas avoir besoin d’artifice, tu en uses quand même. Ça n’est pas pour me déplaire, tes yeux semblent encore plus exprimer cette malice que d’ordinaire et tu es bien plus mystérieux encore pour quiconque y prêterait attention.

• Ça te va très bien, tu n’as plus mal ?

Je cherche à vérifier, soulagé que tu n’ais rien, car je m’en serais voulu qu’en une sortie, en ma compagnie qui plus est, tu ais le malheur de perdre usage d’un de tes yeux si bêtement. Mais visiblement, le sort a été conjuré et je suis bien heureux de ne pas te porter malheur... comme je le faisais, volontairement, parfois, avant. J’aborde un sujet délicat apparemment, car tu m’avoues être plus solitaire et je l’avais bien interprété. J’en souris cela dit, pour te faire partager ma « compassion ».

• J’ai cette impression que mes passe-temps ne sont pas ceux dont raffolent mes amis, également. Mais il semblerait qu’ils se rapprochent des tiens

Ce qui est une invitation à ne pas être seuls, même si parfois c’est ce que nous voulons. Cela dit, je serais ravi de t’avoir près de moi de temps à autre, pour que l’on en découvre toujours un peu plus l’un sur l’autre.

La neige poursuit sa course et nous parlons de ces fameuses journées ou tu préférais te faire gronder. J’apprends que tu me traitais de peureux et tu n’avais pas tort, mais ce n’était pas de sortir que j’avais peur, c’était de la punition que me réservait ma mère, vais-je pouvoir te le dire ? Il est peut-être temps que tu saches qu’elle me terrifiait moi aussi... au moins cela, je te le dois bien.

• J’aurais voulu... mais en effet, je n’avais pas le courage d’affronter les châtiments réservés par ma mère... aussi cruelle qu’elle a été avec toi, et qu’elle est toujours... je peux t’assurer que ce n’était rien en comparaison de ce qu’elle m’aurait fait...

J’en frissonne de dégout. Je n’ai rien fait, je suis innocent, je n’en ai pas le moindre doute, mais je me sens sali par cette personne qui m’a mis au monde. Je mange encore, du sucre, ce qu’il me faut pour adoucir ces pensées désagréables et les transformer en de meilleures.

• Cela dit, de la neige il y en a encore... et il y en aura toujours et même si je suis trop vieux pour jouer, je ne me gênerais pas. Qui a dit qu’il y avait un âge après tout.

Un sourire malicieux me prend et j’ai soudainement envie de me mettre à courir. Non loin de là il y a un parc qui doit avoir conservé toute sa froideur et suffisamment de neige pour s’amuser. Mais sauras-tu me suivre ? En auras-tu seulement l’envie ? Je me souviens un soir, il a fortement neigé et tu étais pieds nus dehors. Nous étions seuls éveillés... et je te surveillais de loin. Tu avais attrapé froid, je t’ai déshabillé presque complètement pour te débarrasser de tes vêtements trempés. Nous étions petits... et pourtant, déjà... j’ai ressenti quelque chose... que j’ai interprété comme un profond dégout. Plus tard devant ce même feu de cheminée, un autre hiver enneigé... tu te déshabillais seul... et j’étais là, dans l’encadrement de la porte à te dévorer du regard... de ces mêmes yeux qui m’effrayaient tous les soirs... ceux de ma mère. J’avais la gorge serrée, me sentant comme ce monstre... que je ne voulais pas être.

• Tu as toujours adoré la neige je crois, n’est-ce pas ? Moi aussi

Mais je ne te l’ai jamais montré, je ne te l’ai jamais dit, j’ai prétexté le contraire même, car à défaut de pouvoir me défaire de ces souvenirs, aussi enivrants que douloureux... j’ai fait comme si ce n’était pas le cas. Je me suis privé bêtement... ou j’ai profité, lors de voyages, mais ça me paraissait sans gout, quand tu n’étais pas là.

Tu as l’air ravi que je te complimente, tu sais comment te faire beau, mais tu dois avoir oublié que tu l’es naturellement et je pense ne pas avoir le droit, ni même le courage de toute façon, de te dire que je te préfère comme tu es. Ainsi, nous changeons de sujet et tu prends connaissance peu à peu de ma douleur, le silence et pesant et je parle de cette neige qui tombe, anodin ? Non, pas du tout. Car j’ai de nombreux souvenirs de ces hivers là. Je me mords la lèvre quand tu réponds, te laissant m’entrainer vers le parc, surpris par ce geste agréable pourtant. J’aime être proche de toi, si tu savais...

Tu balances un peu de neige dans mon col et je frissonne, gesticulant pour qu’elle ne fonde pas dans mon dos, alors que je suis déjà un glaçon, mais j’apprécie, au moins je n’ai pas la sensation d’être endormi, j’ai les yeux bien ouverts pour la peine et je te souris, plissant les yeux pour venir voler ta neige sur le capot d’une voiture, et t’en mettre un peu à ton tour avant de fuir comme un enfant vers ce parc qui lui n’en est pas dépourvu. Je vois notamment un bonhomme de neige qui fondait à moitié et qui a subsisté, je ne compte pas le détruire, ce serait dommage, je l’observe juste en cherchant un endroit pour me cacher et récolter des munitions.

J’ai triché, mais j’ai beaucoup ri en te voyant t’offusquer et t’empresser de me suivre. Je te vois finalement et je commence à jeter ce que j’ai en réserve, me mettant à courir un peu pour me mettre à l’abri pour tes répliques, mais je n’y arrive pas toujours, cela dit je m’en régale, car je me sens vivant.

• Pas trop refroidi ?

Je te souris, me mordant la lèvre, poursuivant notre petit jeu, le faisant durer même, en t’observant toujours. Sois en sur, j’appréciais fortement lorsque la neige tomber, car te regarder alors était un vrai plaisir, je t’enviais pour ça et pour bien d’autres choses, je l’avoue sans honte à présent. Je me demanderais toujours pourquoi je t’observais de l’escalier lorsque tu étais devant la cheminée... était-ce possible que depuis tout ce temps, j’avais une certaine attirance ?

Mon flot de pensées fut stoppé par une boule de neige en pleine tête, que j’essuie avant de m’en reprendre une autre. Je finis par m’avancer pour t’attraper et te faire tomber, avec moi bien sûr, le temps que je dégage ce que j’ai devant les yeux. Puis, je te fixe, et je me relève, en courant, pour te rendre la monnaie de ta pièce. Tu viens de m’éviter un long raisonnement parsemé de chemins sinueux et torturés sans le moindre toute. Même si tu n’en as pas conscience.

• Ah ! Tu es bien plus doué que moi ! Mais je ne vais pas abandonner ! Rends-toi !

Dis-je en plaisantant, je suis un peu fatigué, à force de courir et m’exciter à la moindre occasion de faire une boule de neige, d’être surpris et de m’en prendre une dans la tête, qu’importe le prétexte, je ne risque pas de te laisser, je m’amuse bien trop, pour la première fois, lors d’un hiver enneigé. J’aime que l’on se recréer des souvenirs meilleurs et sans doute bien plus rassurant que ceux précédents. Même s’ils ne les remplaceront pas, ils suffiront au moins à m’apaiser, et toi aussi.

Finalement, le jeu prend fin, nous marchons l’un vers l’autre et je m’assois au beau milieu du parc. Il est hors de question que l’on parte... je n’ai pas envie de rentrer, il est encore tôt qui plus est je n’ai plus fin avec tout ce popcorn et ces bonbons. Que pourrions-nous faire ? Parler un instant au milieu de la neige, à faire des anges ? Et pourquoi pas après tout, puisque nous n’en avions jamais eu l’occasion. Je souris d’ailleurs, me rappelant des nombreuses fois où j’avais tenté à mon tour... et où j’avais fait un bonhomme de neige... à côté du tien. Personne n’avait su qui c’était... et toi tu avais tout de suite deviné, tu étais venu me voir, mais j’avais du nier, pour être certains qu’aucun mur n’ait d’oreilles... j’avais du te repousser, mais grimpait sur mon lit en promettant de te taire, pendant que je dessinais pour m’occuper. J’aurais très bien pu le faire avec toi, mais ça aurait été une raison de plus pour que ma mère ne me punisse... et même si tu ne me croiras sans doute pas, je n’y ai jamais pris plaisir.

Ainsi, je préférais t’expulser en te faisant peur, plutôt que toi ou moi ne subissions son gourou... charmant, n’est-ce pas ? Si tu savais tout ça... je suis certain que tu me pardonnerais, encore, comme tu l’as toujours fait et pourtant, si j’étais toi, je ne le ferais pas... car je t’ai fait du mal, volontairement et parfois pas. Le résultat est toujours le même cela dit, tu as souffert... je me demande ce qui te pousse à avoir autant confiance et finalement me rend compte que je suis assis là sans rien dire... j’ai des remords.

• hm... je devrais arrêter de réfléchir, changer le passé dans ma tête ne changera rien réellement...

Nous sommes seuls dans ce parc, ou c’est tout comme, car pour moi il n’y a que toi. J’aime lorsque je te frôle, lorsque nous tombons ensemble et que rien ne nous gêne. Autrefois ce geste aurait pu me couter cher, car tes petites vengeances étaient toujours à la hauteur de ce que je t’avais infligé, peut-être sans même le savoir. Ainsi, nous poursuivons notre petit jeu jusqu’à ce qu’à bout de force, nous finissions par rester dans la neige et nous allonger, dans le froid.

Je suis glacé de la tête au pied, mais la flamme animée au fond de moi tend à ne pas me faire frissonner, je serais surement malade après ça, mais qu’importe, c’est l’instant présent qui me parle le plus, celui que j’espérais depuis tout ce temps je crois, sans en avoir conscience moi-même. Je repense au passé, je me torture, mais j’essaye d’oublier et pour ce faire tu me racontes quelques anecdotes auxquelles j’ai participé. Tu le savais, depuis un moment que c’était moi, et tu n’as rien dit. J’apprécie ce silence, car même ma mère n’a jamais su, elle croyait que tu avais un ami, que quelqu’un était venu, que le jardinier ou un membre du personnel s’était amusé...

Mais toi tu savais, et tu n’as rien dit. Je t’en remercie. Quant à cette vision que tu en avais, je suis assez fier d’avoir pu te faire sourire, tu as bien compris le message, je ne voulais pas te laisser seul, j’aurais voulu profiter moi aussi, mais je n’en avais pas le droit. Tu avoues ensuite avoir eu la sensation que j’étais là... ce qui n’était peut-être pas faux, nous vivions dans la même maison, et qui plus est je t’observais très souvent, comme tu l’as sans doute vu dans mes dessins. Quant à cet ami imaginaire, je ne peux en être que flatté et je me sens coupable encore une fois de ne pas avoir été là, à sa place.

• ça devait être étrange, un ami imaginaire qui me ressemble et qui a quelque chose prêt est mon contraire, mais j’avoue que c’est beaucoup mieux, j’étais extrêmement compliqué... je pense que ça n’a pas changé, mais disons que j’ai plus de liberté qu’autrefois. Lors de la prochaine réunion, faisons cela... qu’en dis-tu ? De montrer que nous n’avons pas besoin d’eux pour vivre comme il le faut

Il n’a jamais eu besoin d’eux, si ce n’est d’un soutien qui avait été, en l’occurrence mon père, qui l’avait adopté d’ailleurs. Aujourd’hui je voudrais être ce soutien, bien plus nécessaire, car j’ai compris qu’il n’avait nul besoin que l’on lui donne des directives, il est assez dégourdi pour s’occuper de lui sans que quelqu’un ne se mêle de sa vie et surtout pas... cette famille. Je serais là, pour conseiller si besoin, pour prêter une oreille attentive, mais je ne me permettrais pas de le juger, car jusqu’à présent c’était ce que j’avais fait et je l’avais mal fait, aveuglé par cette haine qui n’aurait jamais dû lui être vouée.

Il se lèche les lèvres et je frissonne tout à coup, électrisé par ce geste que dans ma tête je zoom, je me sens sale d’imaginer ainsi cette personne en particulier, car il est sensé être mon frère... mais entre nous il y a toujours eu ce petit jeu qu’il soit bon ou mauvais, adolescent je le cherchais... puis pour le punir sur la plage nous avons joué encore et en boîte ce fut la même chose. Il y avait eu les moments tendres, lors de ces soirées de frayeurs, puis l’après-sortie, chez lui... à vrai dire, j’ai besoin d’être en contact avec lui, d’une simple conversation ou d’un geste anodin et pourtant réchauffant.

• Et si nous allions manger quelque chose de chaud pour nous réchauffer ? Qu’est-ce que tu aimerais manger ?

Après l’effort, le réconfort et je voudrais lui offrir des souvenirs plus beaux encore que ceux qu’il a déjà en tête. J’ai le côté sombre, il a cette lumière émanant en permanence de lui, comme si tout ce qui était négatif il le repoussait ou l’acceptait sans rien dire pour mieux transformer cela en énergie. Il l’a toujours fait, et c’est sans doute ce que j’aime chez lui, cette joie qui parfois s’éteignait lorsque je faisais preuve de maladresse pour l’approcher ces derniers temps, nos disputes... et malgré tout il rayonne encore... je pense pouvoir en être capable avec son aide, moi aussi, mais j’ai besoin de lui pour effacer tout cela, car c’est à lui que j’ai fait du mal, principalement et c’est donc par sa joie que je réussirais à « guérir ».

Je l’aide à se relever enlevant les morceaux de neiges sur nos vêtements, et réchauffant ses bras en les enveloppant des miens, frictionnant des épaules. Puisqu’il m’a invité, c’est à mon tour de le faire et je compte bien à ce que ce soit dans la semaine... quitte à manquer une autre journée, qu’importe, je lui fais confiance et je sais qu’il est assez doué, sinon il n’aurait pas passé avec brio les années précédentes.

• Je ne sais pas qui voudra bien de nous étant donné que nous sommes complètement trempés... espérons qu’ils aient peine en nous voyant... à moins que tu ne préfères venir chez moi et... faire sécher nos vêtements devant la cheminée ?

Je crois que j’ai fait l’erreur de t’en parler... je n’étais pas sensé être au courant n’est-ce pas ? J’espère que tu penseras que j’ai fait références aux quelques fois où tu as attrapé froid et où je t’ai levé tes vêtements devant la cheminée... était-ce pour cette raison que tu perpétuais la tradition d’ailleurs ? Je n’en ai pas la moindre idée, mais j’espère... que cette douce attention qui aurait pu te paraitre dure étant donné mes regards avaient réchauffé un peu ton coeur... ne m’en tiens pas rigueur s’il te plait, d’évoquer ces instants... j’aurais tant voulu les partager que de loin je t’observais... me donnant l’impression d’y être.

Tu souris alors que je te parle et je ne comprends pas, car tu ne me donnes pas de réponse. Mais tu as l’air reposé, alors je profite également de ce temps passé avec toi. Tu rougis à l’évocation d’une cheminée... et je me mords la lèvre, fier que tu n’ais peut-être pas compris, une chance pour moi, qui me délecte de cette gêne occasionnée par mes mots. Je n’en profite qu’un court instant, car il y a des limites à te laisser cogiter là-dessus et je ne voudrais pas que tu le prennes mal. Ainsi, je t’aide à te relever alors que tu hoches la tête.

Tu sembles ailleurs, pris par des souvenirs qui ne me disent rien de bon, car je suis observateur et tout comme toi je remarque facilement quand quelque chose ne va pas, seulement si je m’en donne la peine et avec toi, c’est plus que cela, j’ai l’impression que naturellement je te regarde, j’interprète, et ce, de mieux en mieux le moindre de tes mouvements, de tes expressions. Ainsi, je préfère me taire lorsque nous entrons dans la voiture et le silence prend place tandis que je me demande où a été ma faute. Était-ce seulement moi ?

Je dégage le surplus de neige sur le capot et sur le pare-brise durant ce temps et tu ne dis toujours rien au point que ça m’inquiète très sérieusement. Je te souris malgré tout, mais ça n’a pas l’air de marcher, tu n’es vraiment plus ici... emporté loin de moi, comme je le fais souvent. Cette fois-ci c’est à mon tour de t’en empêcher.

Un instant plus tard, je ne tiens plus et je te demande, d’une voix calme et mal assurée quel est le problème, je commence à te regarder tout en faisant attention à la route, car nous venons à peine de démarrer. Pourtant, j’ai furieusement envie d’arrêter le moteur, et je ne le fais pas, t’entrainant chez moi plutôt, pour que tu puisses te détendre.

• Tu as l’air a cran, ça ne va pas ?

Nous ne tardons pas à arriver, quelques minutes plus tard devant chez moi et je t’attends cette fois-ci, après avoir garé ma voiture, te prenant par les épaules pour t’entrainer à l’intérieur. Je dis bonjour très poliment à cette femme qui s’occupaient de l’appartement en mon absence et qui peut ainsi retrouver son chez-elle. Nous ne sommes plus que deux et je te laisse devant la cheminée quelques secondes, t’expliquant en cours de chemin la raison de mon absence soudaine.

• Je vais te chercher des vêtements chauds, je reviens vite, fait comme chez toi, je crois que tu connais déjà

Je souris malgré tout, essayant de ne pas trop t’embarrasser, tu n’es pas obligé d’en parler si tu ne le souhaites pas, je ne voudrais pas que tu te sentes obligé. Je fouille dans mon armoire, des vêtements qui pourraient convenir et retrouve notamment certains, usés qui te rappellerons très certainement notre passé commun. Mais je ne les prends pas. Une fois armé de ce qu’il fallait, pour toi comme pour moi, je descends et t’offre le paquet de linge, m’asseyant à tes côtés, réajustant le haut que j’ai mis au passage, pour faire sécher celui que tu m’as prêté.

• tu devrais te changer

Dis-je, une serviette entre les mains pour sécher mes cheveux. Je me souviens que j’avais toujours pour habitude de sécher les tiens, même si tu ne trouvais pas ça agréable, tu souriais toujours... parce que je te couvrais en quelque sorte. Ça s’est souvent produit et parce que je risquais quelques sanctions à t’avoir poussé dans l’eau ou sous la pluie, qu’importe la raison j’en venais souvent à croire que tu le faisais exprès. Je souris à cette pensée, te laissant tomber une serviette propre sur la tête en te la séchant un peu, puisque tu sembles prendre ton temps. Mais très sincèrement, je ne voudrais pas que tu attrapes froid par ma faute ou que nous nous présentions à la prochaine réunion, tous les deux malades... car les doutes que ma mère aurait nous concernant ne feront qu’aggraver la situation, alors qu’elle est pour le mieux, lorsque nous sommes uniquement tous les deux.